Pelléas et Mélisande
Atelier 231 • Rouen • 26/03/2006
|
Ce spectacle, créé à l'auditorium du Musée d'Orsay en 2004, tourne depuis en France et à l'étranger. Cette représentation ne renouvelle hélas pas le miracle du 1er juin 2004. La faute en incombe peut-être au pianiste qui remplace Alexandre Tharaud. Bardé de prix et amorçant une brillante carrière de chef de choeur, chef d'orchestre mais aussi pianiste, N.K. impose une vision sans doute très réfléchie de l'opéra de Debussy, dont il a même dirigé une production au conservatoire (CNSMDP). Malheureusement, sa vision ne m'a pas permis d'entrer dans l'oeuvre, avec ses atmosphères et ses émotions pourtant si intenses. Le choix de tempi très lents est en partie responsable. Ce sont peut-être les tempi justes d'une version orchestrale, mais le son du piano seul ne nourrit pas suffisamment des phrases qui du coup se délitent. Dès le premier accord, plaqué avec dureté et suivi d'un perturbant silence, on sent que son jeu sera sec et analytique. Il sera effectivement jusqu'au bout exempt de poésie. Poésie considérée comme trop facile, complaisante? Alexandre Tharaud la rendait pourtant essentielle, inséparable de l'oeuvre. Ici, tout le climat délétère de l'opéra disparaît. Les enchaînements et ruptures de rythme sont souvent un peu heurtés, mal calés sur la respiration et la pulsation du rythme et du phrasé précédents. La lenteur du début de l'acte 4 scène 4 permet cependant de ménager une belle progression jusqu'à sa conclusion.
Gérard Théruel est aussi un peu fruste de phrasé et ne dégage pas tout le charme de son rôle. S'il ouvre d'abord un peu trop ses "a" aigus, il est plus présent vocalement et scéniquement dès la scène de la tour et assume bien la grande scène de la rencontre de l'acte 4, ne recourant au fausset que pour un seul aigu.
François Le Roux offre son Golaud toujours un peu vériste, avec une intensité d'incarnation qui séduit le public. Sa violence ne brutalise pas seulement Yniold ou Mélisande mais aussi son instrument. Dans la scène d'"Absalon" comme au dernier acte, il a semble-t-il définitivement renoncé à émettre correctement les notes aiguës, qu'il force et bouche dans sa priorité donnée à l'engagement dramatique. Du fait de la difficulté à croire aux personnages, la violence de son jeu fait craindre plus pour l'enfant qui joue Yniold que pour le personnage d'Yniold.
Ingrid Perruche est une superbe Mélisande en grande forme vocale. Marie-Thérèse Keller est une très honnête Geneviève. Christian Tréguier a une belle voix claire, à la justesse comme au phrasé un peu note à note, sauf au dernier acte.
Avant ce dernier acte, ni Arkel, ni Pelléas ni même Golaud ne semblent chanter en permanence dans le coeur de leurs notes, soit qu'ils ne ressentent pas suffisamment profondément leur logique mélodique et harmonique, soit que leur émission ne soit pas parfaitement centrée et connectée.
Louis-Alexander Désiré, de la maîtrise des Hauts-de-Seine, est le meilleur acteur de la troupe. Son étonnante assurance scénique, déjà fascinante en elle-même, traduit également bien le caractère farouche de son personnage. C'est aussi l'Yniold enfant le plus parfaitement juste que j'aie entendu.
La mise en scène de Vincent Vittoz utilise intelligemment le dispositif scénique de Philippe Léonard : un fauteuil au milieu de la scène et un plan incliné au fond, qui permet de traduire les différences de niveau dont jouent plusieurs scènes : souterrains, grotte, fenêtre de Mélisande...
Donné quatre fois dans un ancien atelier de chemin de fer pendant les travaux menés au théâtre des Arts, ce spectacle a fait salle comble et déclenché l'enthousiasme du public.
Alain Zürcher