La Belle Hélène
Opéra • Strasbourg • 23/12/2006
Orchestre symphonique de Mulhouse
Choeurs de l'Opéra national du Rhin Chef des Choeurs : Michel Capperon Claude Schnitzler (dm) Mariame Clément (ms) Julia Hansen (dc) Hervé Audibert (l) fettFilm (Momme Hinrichs et Torge Möller) (v) |
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Troie est à l'honneur à Strasbourg. Après les Troyens de Berlioz, voici son pendant parodique.
Encore une transposition dans l'univers du cinéma, mais plus réussie que la sinistre Traviata de Peter Mussbach à Aix-en-Provence (actuellement reprise à Berlin). Si Agamemnon est presque roi (il prépare quand même les prochaines élections !), Calchas est réalisateur, Ménélas est producteur et Hélène est sa maîtresse. L'antiquité est bien présente, mais reléguée dans le film en cours de tournage et donc vue à travers le prisme des années 30. Mariame Clément ne s'interdit pas les allers-retours et mélanges pragmatiques entre les deux univers hollywoodien et antique.
La vidéo, de plus en plus utilisée à l'opéra, l'est aussi de mieux en mieux. Elle est ici parfaitement justifiée (par le cadre hollywoodien), intégrée et réalisée. L'esthétique années 30 est très bien rendue, jusque dans le grain et la lumière des extraits filmés et projetés. Le jeu sur des images quasi fixes s'animant de temps à autre est particulièrement virtuose.
Un écran sépare par le milieu un plateau tournant circulaire qui permet les changements de décor. Sur le plateau aussi, décors et costumes sont en noir et blanc. à une seule occasion, Hélène et Pâris sont "coloriés" par la lumière, comme jadis l'était parfois la pellicule.
Dans ce cadre, Stéphanie d'Oustrac est une diva idéale, par son physique, ses expressions mais aussi tous ses mouvements et déplacements. Elle est bien aidée par les sublimes robes de Julia Hansen. Sa diction est excellente et sa voix acquiert vite une bonne projection, après un début un rien grossi.
Si Stéphanie d'Oustrac a été promue d'Oreste en Hélène depuis la production du Châtelet dirigée par Marc Minkowski et mise en scène par Laurent Pelly, Yann Beuron est lui toujours le titulaire idéal du rôle de Pâris. Un rien moins à l'aise peut-être dans l'aigu, il offre au public un texte parfaitement intelligible et une belle palette de demies-teintes.
Rodolphe Briand est un excellent Ménélas aussi bien chantant que jouant. René Schirrer est un pilier toujours aussi solide de l'opéra de Strasbourg. Franck Leguérinel a l'abattage qu'on lui connaît et une clarté de diction parfaite. Ce n'est pas tout à fait le cas de Blandine Staskiewicz, qui se coule par contre à merveille dans son personnage de jeune homme, où sa silhouette longiligne devrait séduire les metteurs en scène.
Les chanteurs de la troupe des Jeunes Voix du Rhin ont endossé les petits rôles des deux Ajax, de Bacchis, Parthoenis et Léoena, avec le parti-pris amusant de leur faire accentuer plutôt que gommer leurs accents nationaux respectifs.
D'un effectif réduit correspondant à celui de la création au théâtre des Variétés, l'orchestre est plaisant dès l'ouverture. Il traduit bien, avec fluidité et légèreté mais sans sécheresse, la couleur d'orchestre de bal sans prétention que l'on associe spontanément à l'ouvrage, loin donc des versions plus lourdes qui entachent sa discographie.
Cette production permet aussi de goûter des scènes souvent coupées, comme celle du jeu de l'oie ou le monologue si mal prosodié de Pâris qui introduit la scène du rêve. La locomotive de la charade est enfin renouvelée, et le candidat doit aussi se livrer à l'exercice, fort en vogue dans les salons du second Empire, des "bouts rimés".
La scène du rêve est des plus réssies, ainsi que le trio patriotique. Déplacements et chorégraphies sont très bien réglés. De multiples gags et jeux de mots émaillent bien sûr les dialogues, très largement réécrits et actualisés sans lourdeur ni vulgarité (par Mariame Clément? le programme ne le dit pas).
Un minuscule Yorkshire se prend à rugir en lieu et place du lion de la MGM, et le cygne qui enfanta Hélène a pris la forme d'un jouet de plastique sur le bord de la baignoire de celle-ci. Le public du théâtre comble ne boude pas son plaisir !
À voir à l'opéra de Strasbourg jusqu'au 3 janvier, puis à Colmar les 12 et 14 janvier et à Mulhouse les 21, 23 et 25 janvier.
Alain Zürcher