Don Carlo
Grosses Haus • Freiburg • 25/12/2006
Patrik Ringborg (dm)
Barbara Beyer (ms) Dominica Volkert (dr) Oliver Brendel (d) David König (c) Martin Urrigshardt (v) Markus Bönzli (l) |
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Cette nouvelle production, particulièrement internationale, ne réunit pas plus de deux chanteurs de la même nationalité. La mise en scène est par contre du plus pur style Regietheater à l'allemande. Malheur à qui ne connaîtrait pas déjà cette oeuvre ! Comment y comprendre quoi que ce soit quand le décor unique se réduit à deux fauteuils et deux lampadaires, quand les costumes sont modernes et hétéroclites et quand les personnages passent ou restent sur scène quand ils n'ont rien à y faire ou doivent explicitement être absents?
Pendant l'air de Philippe II "Ella giammai m'amò", Élisabeth et sa suivante essaient de dormir recroquevillées sur les deux fauteuils. Pour la scène se passant dans la cellule de Don Carlo, aucun changement de décor. Tout le monde reste en scène, y compris Philippe II et Eboli. (Posa y était opportunément déjà assis parterre dans un coin pendant qu'Eboli se flagellait avec une serpillière mouillée sur l'air de "O don fatale".)
Le metteur en scène ne fait pas bouger et évoluer les personnages en fonction de l'action, mais attribue à chacun un ou deux tics comportementaux traduisant un trait de caractère. Par exemple, Philippe II est un amoureux transi d'Élisabeth, servile et pathétique. Il se tient généralement parterre à ses pieds, quand il ne traîne pas un fauteuil à travers le plateau pour lui offrir de s'y asseoir.
De même, chaque costume semble avoir été choisi pour outrer la caractéristique physique la plus ingrate de chacun. Alexey Kosarev, dont la démarche comme la respiration sont déséquilibrées vers le haut du corps, est ainsi affublé d'une veste de survêtement vert vif (pour rappeler la forêt de Fontainebleau où il a rencontré Élisabeth?). Anna Smirnova, qui ne doit pas briller par son élégance naturelle ou sa sveltesse, est empaquetée dans la robe bleu vert la plus vulgaire possible et qui jure au mieux avec sa chevelure rousse. Bon-Gang Gu voit accentuer jusqu'au ridicule sa petite taille et son aspect juvénile.
On ignore par contre quel sens profond il faut donner aux assiettes de spaghetti que certains personnages mangent en entrant en scène.
Si l'italien sombré de Radu Cojocariu ou d'Anna Smirnova inquiète d'abord et si le choeur sonne plus allemand qu'italien dans sa première intervention hors-scène, la tenue linguistique de l'ensemble s'améliore ensuite. Sur scène, le choeur s'affirme vocalement et musicalement, même s'il gagnerait à approfondir son jeu.
L'orchestre ne trouve par contre jamais le style italien pourtant si convenu d'un ouvrage si connu et enregistré. Les instruments solistes sont incapables de cantabile et la direction manque totalement de souplesse. Les cuivres émettent des sonorités ouvertes et claironnantes dans un phrasé uniformément marcato. Chaque changement de rythme ou de tempo occasionne quelques mesures de flottement, pendant lesquelles chanteurs, choeur et orchestre s'ajustent. On a rarement l'impression que la musique "avance" de son pas et selon sa respiration naturelle.
Le plateau vocal hétéroclite permet d'entendre de jeunes chanteurs prometteurs comme le Sud-Coréen Bon-Gang Gu, au métal solide et de bon aloi. Si son émission est bien allemande, avec un certain appui sur le larynx, son "Per me giunto" est bien timbré et phrasé avec un superbe legato.
Alexey Kosarev séduit d'abord lui aussi par un beau timbre et un bon métal, mais il est très rapidement en difficulté dans l'aigu, ce qui le conduit alternativement à crier et à nasiller. C'est dans sa requête à la reine, commencée a cappella, qu'il est le plus nasal et le moins juste.
La première scène en duo entre Don Carlo et Posa, peu belcantiste dans son phrasé, est scéniquement un peu gauche, mais il est difficile de ne pas l'être quand la mise en scène rend si difficile de rentrer dans son personnage. L'ensemble entre Posa, Don Carlo et Eboli est par contre très réussi et très excitant vocalement.
Les deux premiers rôles féminins sont plus aguerris, mais même Victoria Nava semble d'abord déstabilisée quand Barbara Beyer la fait chanter son dernier grand air face aux projecteurs illuminant toute la salle et le public. Sa technique est sûre et son émission équilibrée, même si elle chante parfois trop en pression.
Dans une esthétique un peu sombrée, Anna Smirnova a une voix qui peut impressionner et une émission de type "volcanique" qui traduit un engagement bien coordonné.
Peter Klaveness offre une bonne maturité vocale et scénique. Il joue bien et chante sans écraser son larynx.
Plus convaincant dans son intervention de la prison que dans son duo avec Philippe II, Jon Pescevich a une émission assez étrange qu'il faudrait réentendre dans d'autres rôles.
La vidéo est utilisée pendant l'ouverture, pour nous montrer Don Carlo hésitant à sauter d'un pont enjambant une autoroute. On comprend dès lors qu'il éprouve le besoin de s'enrouler dans un tapis pour avouer à Posa son amour pour la reine. Plus tard, les envoyés flamands chantent attablés à un banquet, derrière un rideau sur lequel est projetée une vidéo de convives s'empiffrant et se plaquant des assiettes (de spaghetti?) sur la figure.
Alain Zürcher
La salle
Le Grand Théâtre de Fribourg est un bâtiment circulaire entièrement rénové. Au-dessus du parterre, deux balcons se prolongent en arrondi et légère pente vers la scène. Sur les côtés, leurs fauteuils sont orientés vers la scène. Les fauteuils de bois sombre sont tapissés de velours rouge. Les murs sont bleu nuit chiné. Acoustique et vision sont excellentes.