Écoutes de Spectacles

Zampa

 • Paris • 10/03/2008
William Christie (dm)
Jérôme Deschamps et Macha Makeïeff (ms)
Macha Makeïeff (dc)
Dominique Bruguière (l)
Zampa  :  Richard Troxell
Alphonse  :  Bernard Richter
Camille  :  Patricia Petibon
Daniel  :  Léonard Pezzino
Ritta  :  Doris Lamprecht
Dandolo  :  Vincent Ordonneau

L'Opéra-Comique a réussi son pari de remonter un véritable... opéra-comique ! La programmation de Jérôme Deschamps a le mérite d'une implacable logique. La production de ce soir, qu'il met en scène avec Macha Makeïeff, est aussi réussie qu'on pouvait l'espérer.

Les chanteurs idéaux pour un genre délaissé depuis trop d'années font de toute façon défaut. Des chanteurs à la voix longue et souple, alors que tout a longtemps concouru à privilégier la puissance sur une tessiture assez courte, fût-ce au prix de la beauté du timbre et de l'intelligibilité des paroles : l'alourdissement du répertoire courant, l'augmentation de la taille des salles, le volume sonore des orchestres, la culture du son enregistré ou amplifié... La distribution réunie ce soir est donc plus qu'honorable. Après Annick Massis se tirant avec brio des exigences du rôle d'Eudoxie dans La Juive à la Bastille, c'est au tour de Patricia Petibon de nous surprendre. Nous avions quitté une voix légère et piquante, soutenue par une personnalité espiègle plus que par une gestion du souffle orthodoxe, et nous retrouvons une grande voix lyrique ayant appris à respirer, à se connecter à son corps et du même coup à son registre grave - jusqu'à l'extrême grave qu'Hérold s'amuse à lui faire toucher sur "mes sens". Côté sopranos, nous avons donc deux grandes chanteuses françaises au sommet de leur art pour faire renaître ce répertoire romantique !

Côté ténors, le tableau est moins glorieux. Richard Troxell n'a pas séduit tout le public, mais qui pourrait actuellement rendre parfaitement justice au rôle de Zampa, qui semble devoir unir les graves d'un baryton et les aigus d'un ténor rossinien? Richard Troxell en émet les notes, ce qui est déjà un exploit quand on chante les ténors lyriques du répertoire standard le reste de l'année ! Les aigus mezza-voce de sa cavatine "Pourquoi trembler" sont assez réussis. Sans doute faudrait-il, pour rendre justice à ce répertoire, que quelques jeunes ténors retravaillent la jonction d'un registre aigu émis en mécanisme léger.
Les trois autres rôles masculins sont aussi des ténors ! Dandolo serait un ténor de caractère, Daniel un ténor comique, Alphonse un lyrique léger? C'est un des mérites de cette production d'avoir su les caractériser très différemment : Vincent Ordonneau est plus léger que Léonard Pezzino, et Bernard Richter, déjà apprécié à Fribourg en Idomeneo, pourrait être un futur Zampa? Son émission est franche mais sa clarté se teinte d'une sorte d'assombrissement pharyngé. S'il ne manque pas d'énergie, on lui reprocherait presque parfois d'être trop percussif dans ses consonnes et de former un peu trop sa voix en bouche, dans l'articulation, ce qui peut la rendre inégale et ralentir ses possibilités d'agilité. Même dans la recherche du caractère d'une chanson sicilienne à l'acte III, où il évoque l'Hylas des Troyens de Berlioz, il pourrait conserver une respiration plus basse et une résonance plus haute.

Si l'on fait abstraction de l'accent de Richard Troxell, solistes et choristes ont une diction française remarquable, et la consultation des surtitres n'est guère nécessaire. Les scènes parlées ont été travaillées avec un étonnant naturel de déclamation. Pas de surcharge de la mise en scène à la Deschiens, juste un moine et un corsaire conformes à leurs archétypes respectifs. Le livret en ressort crédible et touchant, alors qu'en faire ressortir le ridicule et la niaiserie était une option plus facile et attirante.
Décors et costumes jouent sans vergogne la carte d'un moyen-âge revisité par Viollet-le-Duc ou Louis II de Bavière. Patricia Petibon y ajoute une "gestuelle romantique" bien en situation.

Dans la fosse, les Arts Florissants prennent à bras le corps ce répertoire qu'ils abordent pour la première fois. On sait gré à William Christie de privilégier toujours l'esprit sur la lettre, au risque même de la confusion ou du couac. Les forces orchestrales sont souvent lancées dans un pêle-mêle jubilatoire, dans un esprit de bravade et de cirque qui semble juste. La partition y trouve un rythme efficace et des couleurs séduisantes pour traduire sa variété et sa légèreté. Chef de chant au Théâtre Italien puis à l'Opéra, Hérold ne cite pas mais évoque tous les compositeurs de son époque, en un montage très cinématographique.
Son ouverture, seule partie régulièrement enregistrée de l'oeuvre, pourrait être la bande son d'un vieux dessin animé de Fritz the cat ! Le "Parlez bas !" de Dandolo semble une parodie vocalisée de Beethoven, l'apparition de Zampa "Le voilà !" amorce un ensemble rossinien puis Berlioz semble inévitablement convoqué sous les paroles "ma voile se déploie". Les thèmes d'inspiration populaire se succèdent et l'"Aimable fillette" de Zampa est une jolie romance. La scène entre Daniel et Ritta, savoureusement chantée par Doris Lamprecht, et plus tard la scène "C'est Alphonse" se déploient comme des machines rossiniennes ou plus tard offenbachiennes - dont la réplique "Que vois-je?" évoque irrésistiblement le Choufleuri.
Non contente de ses vertus "attrape-mouches", l'oeuvre semble aussi contenir à l'avance sa propre parodie, tout en ne perdant rien du charme de son premier degré. Hérold a l'art de la caractérisation légère, rapide et efficace, un art de boulevardier qui a tout pour séduire aussi notre époque.

À voir jusqu'au 21 mars à l'Opéra Comique, puis à Caen en janvier 2009. à écouter samedi 15 mars 2008 à 20h sur France-Musique.