Porgy and Bess
Opéra Comique • Paris • 02/06/2008
Wayne Marshall (dm)
Robyn Orlin (ms) Alexandre de Dardel (sc) Olivier Bériot (c) Philippe Lainé (v) Marion Hewlett (l) |
|
C'est à nouveau dans une atmosphère musicale complètement différente que nous plonge l'Opéra-Comique. Le temps de cette production mais aussi des spectacles de plus petit format qui l'entourent - manière décidément séduisante de structurer une saison.
Cette production de Porgy and Bess est-elle idiomatique? L'orchestre réunit de jeunes boursiers américains qu'il prépare à leur carrière. Le choeur vient d'Atlanta. Les solistes sont noirs, comme il se doit, et américains. La metteuse en scène est une chorégraphe sud-africaine habituellement provocatrice. Le chef est aussi pianiste et organiste, entre le jazz et le classique. Il ressort de cette conjonction d'artistes une interprétation d'une grande énergie.
La contrepartie, car il y en a toujours une, consiste en un certain nivellement de l'oeuvre : nivellement sonore, par le haut, de jeunes interprètes soucieux avant tout de faire entendre leurs instruments. Il en découle un nivellement du phrasé, des nuances et de l'expression. On arrive à un paradoxe très frustrant : la représentation n'est pas amplifiée mais a les caractéristiques, l'esthétique sonore d'un spectacle amplifié. Quelque chose de directement projeté sur le public, sans lui laisser d'espace pour respirer, sans utiliser l'espace acoustique de la salle, sa résonance caractéristique, son intimité.
La musique est américaine, les costumes peut-être aussi puisque ce sont des tee-shirts de couleurs vives, mais le décor ne l'est pas : des vidéos tournées par Philippe Lainé en Afrique en tiennent lieu. Aussi envahissantes que pour la Nativité (El Niño) de John Adams au Châtelet en 2000, elles sont davantage calées sur l'action scénique, montrant des lieux et des personnages vaguement parallèles à ceux évoqués sur scène. De là à en conclure que la vidéo renforce le plateau ou vice-versa, il y a un grand pas. Sans la vidéo, le plateau est nu, mais le jeu d'acteurs est traditionnel et efficace. Il se suffit à lui-même. Des effets très chorégraphiques de resserrement et d'éparpillement autour des personnages-clés de chaque scène introduisent la seule respiration de cette production.
La force de la communauté comme celle des destins individuels sont bien traduites. Malgré l'indispensable discours sur l'actualisation du propos de Gershwin, les clichés de l'oeuvre restent très datés, même en l'absence de tout misérabilisme et pittoresque dans le décor et les costumes. Une atmosphère aussi datée que celle du Pauvre Matelot de Darius Milhaud, par exemple. Est-on touché? Oui, comme on peut l'être par un mélo au cinéma. Mais le peut-on encore? Ce rapport aux sentiments n'est-il pas lui aussi très daté?
L'orchestre de Gershwin est certainement américain ! Il tient plus du big band de jazz, avec lequel il partage cette redoutable capacité à engluer dans un conformisme claironnant tout thème a priori vif et brillant. Mais on s'étonne aussi que le si prolifique Gershwin n'ait nourri son grand oeuvre que de trois thèmes mémorables - repris et cités à satiété !
Malgré les longueurs de l'oeuvre, la tension ce soir ne retombe jamais, mais la véritable émotion est rare, comme elle est rare dans une comédie musicale formatée et amplifiée. N'avons-nous pas pourtant sous les yeux de jeunes talents, des voix superbes? Si le public a chaleureusement applaudi tous les artistes, une seule l'a vraiment ému : c'est Angela Simpson. Elle l'a fait avec une voix vraiment lyrique, un phrasé ample et souple, une émotion juste, pudique si l'on peut dire quand on descend dans la salle chanter devant 1000 personnes. Kevin Short, dans la même configuration, a surtout fait entendre son souci d'entretenir une résonance sombre et un peu nasale. Les paroles de son "I got plenty o' nuttin" ne sont pas très incisives et leur rythme est bien plat. Daniel Washington, pourtant le méchant de l'histoire, a une émission plus franche. Le tube Summertime échoit à Laquita Mitchell, mais elle n'en traduit guère l'alanguissement. Jermaine Smith, clou ou plutôt clown chorégraphique du spectacle, tire quant à lui le meilleur parti, tout en finesse, de son air "It ain't necessarily so". C'est peut-être le seul personnage vraiment actualisé : aussi cynique, vulgaire, odieux et crédible aujourd'hui qu'hier. Celui qui survit et survivra à la disparition de l'espèce. Qui va muter sous toutes les formes mais sera toujours là.
À voir jusqu'au 20 juin à l'Opéra Comique, puis à Caen les 26, 28 et 30 juin 2008 et au Luxembourg les 7, 9 et 11 octobre 2008.
Alain Zürcher