Petra Lang R
Auditorium du Louvr • Paris • 15/10/2008
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La mezzo-soprano wagnérienne Petra Lang et le pianiste Charles Spencer ont offert un superbe récital de Lieder à l'auditorium du Louvre.
Les rares Volkslieder de Brahms permettaient à Petra Lang d'amorcer sa prestation vocale dans une émission volontairement claire et légère, adaptée à des Lieder comme Dort in den Weiden steht ein Haus. Dès Es ging ein Maidlein zarte, elle retrouve cependant la couleur sombre et concentrée qui est davantage la sienne sur scène. Au gré des Lieder, elle offre entre ces extrêmes toute une palette de couleurs nuancées. Même cette peinture traditionnelle de la Mort se teinte chez elle d'une douceur morbide, sans aucun grossissement ou élargissement des graves. Pour Es steht ein' Lind', la dernière plainte tranquille de sa sélection brahmsienne, on est heureux de retrouver le tilleul familier au Lied romantique, dans cette atmosphère si allemande de "gestillte Sehnsucht". La voix de Petra Lang conserve centre et ligne en tout instant.
Pour les premiers Lieder de L'amour et la vie d'une femme, Petra Lang retrouve un peu de sa clarté "virginale", mais une clarté ici moins populaire, caractérisée par une résonance très haute parfaitement reliée à un soutien très bas. Les piani qu'elle fait flotter à volonté sont une de ses marques de fabrique ! Le deuxième Lied, Er, der Herrlichste von allem, déçoit un peu par un rubato un peu brouillon. Il veut sans doute traduire l'excitation de la jeune fille, mais rend ce Lied heurté et peu naturel. Dans le Lied suivant, la dernière reprise de "Ich kann's nicht fassen, nicht glauben" est l'occasion pour Petra Lang de nous régaler d'un 'piano estatico', comme aurait écrit Sergio Segalini. La concentration qui lui permettait d'évoquer la Mort lui permet ensuite de colorer, dans une nuance certes plus chaleureuse et moins inquiétante, Du Ring an meinem Finger, et de nous entraîner le long de sa ligne ininterrompue.
Dans Helft mir, ihr Schwestern, on a envie d'avancer mais il y a tant à prononcer ! Peut-être ici est-elle bridée par sa respiration un peu haute et courte? Respiration qu'elle choisit peut-être volontairement pour traduire l'exaltation, mais qui déstructure trop ce Lied. Süßer Freund, du blickest lui permet de retrouver la ligne élégiaque qui lui convient le mieux, chaleureuse de bonheur ou de douleur mais toujours aussi bien soutenue. Sur "Bleib an meinem Herzen", on se surprend à apprécier un crescendo réussi conjointement par les deux artistes, et l'on réalise à cette occasion que Charles Spencer n'a pas été jusque là aussi expressif et affirmé qu'il aurait été possible. Petra Lang chante volontairement "en dehors" le "lacht" qui précède la répétition finale de "dein Bildnis", pourquoi pas, c'est un joli effet. Dans le Lied suivant, elle gère mieux les changements de tempo que dans le deuxième Lied du cycle, mais ils auraient pu être encore mieux construits en collaboration avec Charles Spencer. Dans Nun hast du mir den ersten Schmerz getan, elle se laisse à nouveau prendre au piège de respirations expressives en nombre trop grand. Le postlude de Charles Spencer est lent et songeur, mais chaque note n'en est pas suffisamment nourrie pour habiter cette lenteur, et le résultat est un peu plat.
D'abord un peu brouillons dans Begegnung, le premier extrait choisi des Mörike Lieder de Wolf, les deux partenaires semblent enfin trouver la même pulsation sur l'avant-dernière strophe, même s'ils ne font pas le même ralenti sur "gebracht". Petra Lang trouve pour Das verlassene Mägdlein une étrange couleur "fêlée" et inquiétante. On en a l'explication poétique quand revient ("plötzlich" !) le souvenir du garçon infidèle. La couleur de la voyelle que trouve Petra Lang sur "Träne" est encore un bel exemple de sa technique, qui lui permet de ne pas déformer les voyelles tout en les concentrant dans une résonance très haute et fermée. Tout en étant compris comme "Träne", ce mot rappelle la couleur du "Früh" initial et crée ainsi une sorte de "thème de couleur" : un chant aussi coloré permet au chanteur de donner du sens non seulement en choisissant une couleur adaptée à tel moment, mais aussi en rappelant ou anticipant des couleurs utilisées ailleurs !
Lebe wohl nous fait réentendre l'émission concentrée d'une wagnérienne, renforcée par le souvenir des paroles de Wotan qui sous-tend musicalement ce Lied. Le "gebrochen" est très bien laissé en suspens, comme interrogatif. Storchenbotschaft est pris assez lourdement mais conduit à son terme de manière très expressive, permettant au passage de retrouver la bonhomie du Volkslied qui avait introduit la soirée.
Ich atmet' einen linden Duft, le premier des Rückert Lieder, va bien sûr comme un gant à Petra Lang. Ses piani bien soutenus et ses "i" et "é" bien concentrés y font merveille. On souhaiterait quand même une ligne moins coupée par les respirations et des consonnes finales ("Dufffttt !") un peu plus discrètes dans une salle aussi intime. Dans Liebst du um Schönheit, les arrivées sur les mots-clés "Frühling" ou "Meerfrau" ratent un peu leur effet. La tension vocale est dans ce Lied légèrement excessive. Blicke mir nicht in die Lieder donne aux deux partenaires de multiples occasions de se passer la balle et de relancer l'élan de la phrase. Ils s'en sortent bien, avec quand même une mention "peut mieux faire" pour Charles Spencer. Dans Um Mitternacht, le souvenir de l'orchestre est si fort que le pianiste est mis à rude épreuve. Son jeu soutient ici correctement la voix. On est par contre frustré qu'aucune couleur ou intensité nouvelle n'introduise la quatrième strophe, "Um Mitternacht kämpft' ich die Schlacht". Mais sur la dernière strophe, la wagnérienne peut à nouveau s'épanouir, et on croit voir dévoiler la coupe du Graal ! Dommage quand même de rompre un tel charme en respirant au milieu du dernier "Mitternacht" !
Le dernier Lied du cycle, Ich bin der Welt abhanden gekommen, offre à Petra Lang, et donc à son public, de multiples "i" et "è" pianissimo, merveilleusement soutenus et rayonnants, dont elle prend le risque jusqu'en finale sur "in meinem Lied". Sur "Denn wirklich bin ich gestorben", on regrette à nouveau que le piano ne soutienne pas mieux la voix en avançant plus régulièrement et ainsi mieux amener l'immobilité de la phrase suivante, "Ich bin gestorben dem Weltgetümmel". Le postlude de Charles Spencer est ici plus réussi.
En bis, Urlicht de Mahler pourrait être mieux construit et conduit. Rheinlegendchen est bien introduit par Charles Spencer et très bien joué par les deux artistes, qui en traduisent délicieusement les accents viennois. Un très beau récital, rare dans le paysage culturel parisien ! La salle comble laisse à penser qu'il y aurait un public pour une programmation plus fournie dans ce domaine, peut-être autant que pour remplir une nouvelle grande salle philharmonique...
À écouter le 5 novembre à 14h30 sur France-Musique.
Alain Zürcher