Riders to the sea
Théâtre de l'Athénée • Paris • 08/04/2009
Orchestre du Grand Théâtre de Reims
Choeur Thibaut de Champagne Chef de choeur : Hélène Le Roy Jean-Luc Tingaud (dm) Christian Gangneron (ms) Thierry Leproust (d) Claude Masson (c) Marc Delamézière (l) Lionel Monier (i) |
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Cette "pièce mise en musique" est un véritable petit opéra d'une intensité étonnante. Le programme de ce soir dure à peine 1h10, encore est-ce en faisant précéder cet opéra des "Songs of travel" de Ralph Vaughan Williams, sur des poèmes de Robert Louis Stevenson. Le couplage est intéressant bien que tout sépare les deux oeuvres. Chez l'écossais, la nature est évasion et liberté, chez l'irlandais, elle est esclavage et destin implacable. On aurait pu imaginer aussi un couplage thématique avec Le pauvre matelot de Darius Milhaud, également produit par l'ARCAL cette saison. Il semble d'ailleurs que les habitants de Malte aient eu cette chance le 19 mars dernier !
C'est grâce à l'ARCAL que nous pouvons découvrir ce petit bijou, comme avant lui bien des pièces lyriques courtes. L'ARCAL a en effet vocation de produire des oeuvres avec de jeunes chanteurs et de les diffuser largement en Île-de-France et en province. Maintenant associée avec le Grand Théâtre de Reims, elle bénéficie ce soir de son orchestre. Riders to the sea arrive ainsi à Paris au terme d'une tournée qui l'a conduit notamment à Reims et Rennes depuis octobre 2008.
La vie rude dans les îles, le combat de l'homme et de la mer ont fasciné au moment où les citadins ont pu les découvrir, donc quand ce mode de vie était lui-même en train de disparaître. En 1929, Jean Epstein tourne Finis terrae, fiction documentaire assez sobre sur les goémoniers d'Ouessant. Bien avant Gilbert Bécaud, Flaherty tourne en 1934 L'homme d'Aran, fiction documentaire plus mélodramatique dont on peut voir des extraits sur YouTube. Le pauvre matelot, sur un livret de Jean Cocteau, date lui de 1927, et le Peter Grimes de Britten attendra 1945 pour aller se noyer. Synge s'était lui longuement imprégné de la vie sur les îles d'Aran, y séjournant plusieurs années de suite. Sa pièce, dont on peut lire en ligne le texte intégral, date de 1904.
Ordet de Dreyer ne date que de 1955, mais ses plans en contre-plongée dans le vent se trouvent déjà dans Man of Aran. Cette même efficacité dramatique, ce sens du tragique se retrouvent dans Riders to the sea et sa mise en scène par Christian Gangneron. Le décor simple et bien éclairé fait vivre les personnages à la fois au-dessus et comme en contrebas de la mer, que l'on entend gronder derrière la scène. Pour y accéder, il faut passer un mur ou monter un plan incliné, dans ce même mouvement cinématographique et tragique de contre-plongée.
En première partie, les Songs of travel de 1904 sont donnés dans une version pour orchestre qui les affadit sensiblement. De nerveuses elles deviennent souvent sirupeuses, In dreams est privé de ses animando et de ses élans. S'agit-il de l'orchestration partielle de Vaughan Williams, complétée par Roy Douglas? Le début de Riders to the sea est un soulagement, quand le même orchestre sonne tout d'un coup uni et sombre, avec des couleurs et un phrasé totalement au service du drame.
La gestuelle passablement raide et partiellement pléonastique demandée à Patrice Verdelet contraste aussi avec la force du jeu dramatique de l'opéra qui suit. L'émission de Patrice Verdelet est un peu écrasée, appuyée sur le larynx. Cela assourdit son grave et lui donne une certaine raideur qui empêche de goûter toute la souplesse et la sensualité des phrases musicales. En effet, seul le début de Bright is the ring of words est écrit de manière très verticale.
La traduction française de la première mélodie est diffusée, amplifiée, avant le chant. Les traductions suivantes sont projetées sur un rideau rouge, avec des jeux typographiques qui se mêlent peu à peu d'images... Ce procédé est sans doute efficace pour faire découvrir ce cycle. Pour qui le connaît et comprend l'anglais, il parasite la concentration sur la voix et les paroles, et fait combattre l'univers visuel du "metteur en images" avec l'univers personnel de l'auditeur.
L'interprétation et la vocalité de Jacqueline Mayeur, qui joue la mère dans Riders to the sea, transmet intégralement l'intensité de l'oeuvre. Elsa Lévy est tout aussi remarquable dans le rôle de Cathleen. Un spectacle n'a pas besoin d'être long pour impressionner et rester en mémoire !
Alain Zürcher
À voir au Théâtre de l'Athénée jusqu'au 11 avril 2009.