Christian Gerhaher R
Musée d'Orsay • Paris • 18/06/2009
|
Le cycle "L'art de l'accompagnement vocal" du Musée d'Orsay permet décidément de découvrir, dans le cadre intime de l'auditorium, des récitalistes que l'on n'a pas l'occasion d'entendre ailleurs. Christian Gerhaher et Gerold Huber ont remporté ensemble le prix international Pro Musicis en 1998, se produisent souvent ensemble et enregistrent chez RCA.
Le cycle du Chant du cygne, qui n'en est pas un mais réunit les derniers Lieder composés par Schubert, est ce soir intelligemment séparé en ses deux parties constitutives : un cycle sur des poèmes de Rellstab, un autre sur des poèmes de Heine. Ces deux parties sont séparées par trois poèmes de Leitner qui en prolongent bien le caractère et se concluent avec Die Taubenpost (Le pigeon voyageur) sur un poème de Seidl, comme le recueil posthume publié par Haslinger.
Christian Gerhaher séduit par de multiples qualités - ainsi que par son absence de défauts ! Il sculpte le texte avec continuité et finesse, et sur une heure et quart de récital, seuls deux ou trois "a" s'assombrissent parfois un peu trop, un "o" de "Holde" s'ouvre un peu trop. Il pourrait sans doute imposer une présence encore plus forte, sincère, entière et immédiate, à la manière d'un Thomas Quasthoff, mais sa manière est différente, plus héritée de Dietrich Fischer-Dieskau. Contrairement à certains suiveurs de ce dernier, il n'en copie pas les maniérismes tardifs, mais déploie une beauté de timbre et une souplesse égales à celles du jeune DFD. Sa palette dynamique est étonnante. Il contient généralement sa voix dans un mezzo-forte dont l'efficacité fait oublier qu'il n'est qu'un mezzo-forte, puis libère, moins de dix fois dans la soirée, la résonance la plus pleine et intense, sur "heiß" de Kriegers Ahnung, "weiche" de Ständchen, "Tränen" de Aufenthalt, "Schmerzensgewalt" de Der Dopppelgänger...
Sa souplesse vocale lui permet aussi de relier à sa voix pleine des notes en fausset comme sur "Pfaden" dans Des Fischers Liebesglück. Dans Der Winterabend, c'est une jolie forme de "voix mixte", de "mezza-voce" à la DFD qu'il utilise sur "die Spindel, das Gold" et "und lächelt hold". Sans excès de détimbrage, il commence aussi parfois ses phrases en voix parlée, comme dans In der Ferne, où il timbre progressivement ses débuts de phrase. Olaf Bär cherchait un effet un peu semblable en utilisant une émission plus soufflée et cotonneuse. D'autres soulignent les allitérations, ce que Christian Gerhaher ne fait pas dans ce poème de Rellstab. On pourrait a fortiori lui reprocher de ne pas traduire l'amertume ou l'ironie des poèmes de Heine, sinon de manière très directe et presque trop belle, trop sincère. Le cahier "Heine" ne se distingue ainsi pas, ce soir, du cahier "Rellstab", et si le premier sonne richement, le deuxième laisse comme un manque malgré sa beauté.
Plus rarement, ce sont aussi ses fins de phrases qu'il laisse mourir très naturellement comme en voix parlée, sans les timbrer et soutenir, comme dans le premier Lied de Rellstab, Liebesbotschaft. Il s'en dégage une agréable impression de conversation intime, mais la ligne tendue d'un bout à l'autre du Lied en est tout de même plusieurs fois interrompue et relancée, dans ces deux premières strophes que le ruisseau pourrait entraîner sans relâche.
Si sa voix est physiquement bien connectée, son phrasé est aussi quasi chorégraphié par des montées et descentes sur ses avant-pieds. Grâce à la souplesse conservée par ses genoux et l'absence de raideur de sa colonne vertébrale, il ne s'agit jamais de monter sur la pointe des pieds pour "atteindre" les aigus, comme chez certains mauvais chanteurs, mais d'un ancrage souple qui traduit physiquement la souplesse et la ligne que l'on entend dans sa voix.
N'oublions pas de noter que Gerold Huber est un superbe accompagnateur !
Alain Zürcher