Matthias Goerne C
Théâtre des Champs-Élysées • Paris • 10/12/2009
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Ce concert devait initialement aussi proposer des Schottische Lieder de Beethoven et des Lieder de Schubert accompagnés par plusieurs instruments, en un programme intéressant et varié pour les solistes de l'Orchestre National de France. Transformé en concert Bach, il devient un objet un peu étrange. L'ensemble de quelques solistes pour la cantate 158 reste léger pour les deux autres cantates, en une vision chambriste mais sur instruments modernes, avec un son donc passablement "lisse" qui contredit l'intérêt d'un effectif individualisant les instruments.
Le court cycle des Ernste Gesänge de Hanns Eisler clôt heureusement le programme. Se référant à Brahms par le titre, il l'égale ou le surpasse par le désespoir de ses paroles. Après un prologue purement déclamatoire et une première pièce, Asyl, où la voix se promène tranquillement sur une tessiture réduite, Traurigkeit sollicite l'aigu de Matthias Goerne, à la différence des cantates solistes de Bach, un peu graves pour sa voix. Il émet cet aigu dans une voix mixte bien concentrée, quoique tendant parfois vers le fausset. Verzweiflung est plus lourd et les dernières pièces offrent à la voix de plus grands intervalles et contrastes.
Ainsi réveillée sur toute son étendue, la voix de Matthias Goerne lui permet de reprendre en bis l'air Ich habe genug enrichi d'une résonance plus haute et concentrée. Plus important, l'émotion fait son apparition en même temps que les harmoniques aigus ! La cantate 82 est certes mieux centrée pour un baryton, tandis que les 56 et 158 "tassent" facilement la voix, étant plus calibrées pour des basses, même au diapason à 440Hz. L'émission de Matthias Goerne étant elle-même habituellement large et peu concentrée, parfois à la limite du voile ou de la raucité, une tessiture grave "enterre" un peu sa voix, alors que le baryton plus lyrique de Eisler dégage son potentiel dans l'aigu.
La largeur un peu sourde de son émission, couplée avec des respirations très hautes au niveau des épaules et des attaques qui sont symétriquement plutôt des affaissements, l'empêche aussi de vocaliser avec la clarté et la précision que requerrait Bach. Il allège cependant son émission au cours de sa vocalise sur "Endlich wird mein Joch", rendant son émission plus agile et efficace, mais l'élargit à nouveau de manière un peu creuse sur "Da krieg ich in dem Herren Kraft". La justesse de ses attaques souffre parfois aussi de ses grands mouvements physiques de soulèvement et d'affaissement, comme parfois sa ligne vocale, par exemple sur un "vieler Trübsal" monté sur la pointe des pieds avant de retomber lourdemment sur "werde kommen", d'une manière que l'on peut certes considérer comme expressive. Bach n'est pas connu pour la qualité de sa prise en compte des nécessaires respirations du chanteur, mais Matthias Goerne intercale en sus bien des reprises de souffle superflues et bruyantes qui hachent son phrasé. Plus étonnamment pour un chanteur de Lieder allemand, on s'étonne de ne pas entendre bien des consonnes finales, même aussi importantes que sur "Grab", "genug", "sanft" ou "Nacht" !
Les cordes graves du continuo traduisent bien les vagues, quoique très apaisées, du premier récit de la cantate 56. Dans l'air d'entrée cependant, on s'étonne que le thème de la croix, volontairement portée mais si douloureusement soulevée, ne se détache pas du tout à l'orchestre.
Les interventions du quatuor vocal sont elles toujours très belles et justes, comme celles du hautbois très sollicité de Nora Cismondi.
À écouter vendredi 8 janvier à 10h30 sur France-Musique.
Alain Zürcher