Vivica Genaux C
Théâtre des Champs-Élysées • Paris • 14/12/2009
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Vivica Genaux et Europa Galante ont construit leur programme comme un vrai petit opéra : l'orchestre introduit chaque acte, la mezzo le conclut par son air le plus brillant ! Elle en ajoute bien sûr encore en bis, d'abord un léger pour se reposer mais aussi pour faire mieux éclater, par contraste, le dernier air de la soirée.
Vivica Genaux est apparu d'un coup dans le paysage vocal avec ses prises de rôle rossiniennes. Remontant une filiation logique, elle a ensuite brillé dans Haendel et Vivaldi. Ce dernier compositeur lui a récemment inspiré un CD dont ce concert offre une large sélection. Elle y manifeste une virtuosité époustouflante, relevant tout autant de la performance sportive que de l'interprétation musicale. On en oublie vite son timbre, peu séduisant mais remarquablement efficace.
Si la nasalité est très audible dans son premier récit, où elle lui sert sans doute un peu de guide pour se rassurer sur le placement de sa voix, cette nasalité n'est plus ensuite qu'une composante acoustique, qui a l'avantage de concentrer les harmoniques aigus de sa voix en un formant d'une solidité imperturbable. Son grave est poitriné de manière tout aussi efficace, sans être jamais grossi. Aucune région de son étendue vocale ne s'épanchant jamais dans la rondeur, sa voix présente une excellente homogénéité. Sans recherche de volume sonore par un élargissement flatteur mais fallacieux, elle présente aussi de bonnes garanties de durabilité. Ainsi, à une époque où les voix se consument parfois si vite, on s'étonne presque de l'entendre encore comme une jeune chanteuse à la technique solide.
À ses côtés, le son nourri d'Europa Galante est le garant d'une interprétation musicale riche et authentique. Dans les sobres deux premiers airs, "Sin nel placido soggiorno" et "Splender frà'l cieco orror", la voix de Vivica Genaux partage la même plage de fréquences que l'orchestre. Si elle ne brille donc pas, elle s'y fond remarquablement.
Pour conclure cette première partie de concert, "Alma oppressa" est certes douloureux mais plus brillant. Vivica Genaux y déploie une remarquable agilité, avec la technique articulatoire qui n'appartient qu'à elle, détachant les notes de même hauteur par un mouvement rapide des lèvres, là où on pourrait le faire au niveau des cordes vocales ou du diaphragme, ou bien sûr pas du tout !
Après l'entracte, "E prigionero e re" lui permet une émission nuancée et bien phrasée, posée sur un doux tapis orchestral. Ce même caractère se retrouve en premier bis sur les pizzicati de "Cor mio che prigion sei" tiré d'Atenaide, mais auparavant, Vivica Genaux déborde de virtuosité dans les deux derniers airs de son programme, pris dans des tempi infernaux rigoureusement conservés de bout en bout ! à quand des Jeux Olympiques du chant, avec des épreuves de vélocité, de tenue, de messa di voce...? Dans "Agitata da due venti", Vivica Genaux s'offre le luxe d'ajouter encore quelques diminutions en reprise ! En dernier bis, "Qual guerriero in campo armato", composé par Riccardo Broschi, frère de Farinelli, et inclus par Vivaldi dans son Bajazet, est à nouveau un feu d'artifice de vocalises. Il fait aussi entendre la voix de Vivica Genaux sur une grande étendue, incluant de jolis aigus. On s'y prend à penser que l'accomplissement vocal actuel de Vivica Genaux résulte du choix personnel très affirmé d'une technique très particulière. Elle réussit en se concentrant strictement sur quelques points, alors qu'elle aurait très bien pu, avec le même matériel de départ, explorer d'autres voies, où elle aurait cependant été sans doute moins performante. On lui souhaite de poursuivre encore longtemps sur ce chemin étroit, en y ajoutant un peu de la souplesse jubilatoire et communicative qu'elle trouve dans son "Agitata da due venti", et en évitant les écueils de la nasalisation ou d'un grave trop appuyé, sans compter celui d'un médium trop large - mais elle maintient ce dernier écueil à une telle distance qu'il ne semble nullement la menacer !
Alain Zürcher