Tancredi OC
Théâtre des Champs-Élysées • Paris • 16/12/2009
La Grande Écurie et la Chambre du Roy
Ensemble Vocal de l'Atelier Lyrique de Tourcoing Jean-Claude Malgoire (dm) |
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Non pas la perfection, qui n'existe pas, mais la justesse et l'honnêteté absolues d'une interprétation musicale. Autant ou davantage que dans les instruments d'époque, l'authenticité ne réside-t-elle pas dans la qualité de l'approche d'une oeuvre, dans la simplicité humaine d'un travail d'équipe? Certes, le star system devait exister bien aussi férocement à l'époque de Rossini. On prend cependant plaisir à respirer calmement cet air frais et salubre qui entoure Jean-Claude Malgoire à chacun de ses passages à Paris.
Dès l'ouverture, il trouve le tempo idéal qui aère cette musique. Chaque instrument entre à son tour avec une modestie et une clarté parfaites, apportant sa juste couleur à la palette orchestrale. Le choeur masculin a lui aussi une clarté très agréable. La distribution permet de découvrir ou de retrouver de très intéressants jeunes chanteurs, certains déjà appréciés ici-même dans Ciro in Babilonia.
Filippo Adami est un modèle de technique vocale. En tant que ténor lyrique léger, il fait exactement ce qu'il doit faire et rien de plus, ce qui est assez rare pour être salué - comme naguère l'apparition d'un Juan Diego Florez a défini de nouveaux standards en matière de pureté vocale. On lui souhaite de poursuivre longtemps dans cette voie sans céder aux sirènes de l'élargissement vocal ! Nul doute qu'il doive déjà refuser des Alfredo, voire des Don José ! Des paroles claires en bouche et une résonance constante au dessus, que demander de plus? Il ne reste qu'à ne jamais quitter sa ligne de souffle. Son phrasé est d'ailleurs admirable, non de sophistication mais d'évidence et de simplicité ! Au premier acte, il lui arrive quelques fois de lever le menton et de mettre la tête en arrière pour émettre ses aigus - certes avec prudence. Peut-être pourrait-il se départir quelque peu de cette prudence s'il arrivait à conserver en permanence l'alignement de sa nuque avec sa colonne vertébrale, comme il le fait mieux au second acte.
Un peu serrée au premier acte puis tout à la fin du second, Elena de la Merced nous offre entretemps deux airs magnifiquement émis. Dans sa première manière, elle semble blanchir un peu son timbre en ouvrant la bouche à l'excès, tandis que sa seconde manière est plus concentrée et connectée - et sa voix alors plus libre et chaude. Christian Helmer séduit par son timbre très riche, dont on se demande cependant s'il n'est pas un peu artificiel. à la manière d'un Nicolas Rivenq, il semble à la fois "ajouter des harmoniques graves" par un abaissement du larynx et "ajouter des harmoniques aigus" par un classique métal "dans le masque". Chacun des "confidents" Roggiero et Isaura est aussi gratifié par Rossini d'un joli air, dont Valérie Yeng-Seng et Gemma Coma-Alabert se sortent très bien.
Nora Gubisch est un cas à part, semblant hésiter entre une émission plus "accrochée" ou plus "soufflée". Dès son entrée, après une introduction orchestrale superbe de finesse et de tendresse, elle timbre son aigu mais semble souffler son grave entre des lèvres un peu "tubées", sonnant un peu "dans les joues" et perdant la résonance haute. Au second acte, son émission se concentre, sans cependant présenter l'équilibre harmonique le plus efficace possible. Son émission un peu large et voilée donne une couleur admirable à la scène de sa mort, mais ne semble pas optimale quand Tancrède est bien vivant. Est-ce l'instinct dramatique qui lui enjoint de suivre ses phrases avec le souffle? Est-ce une conception à la Lilli Lehmann de "directivités" qui deviendraient horizontales dans le bas-médium? Conserver un "ring" permanent mais non forcé et ne jamais remplacer les voyelles par des [œ] semblerait une stratégie plus efficace.
Les ensembles et duos de cette oeuvre sont admirablement écrits et interprétés. Quoique chantant en version de concert, les chanteurs interprètent leurs rôles et interagissent avec justesse. Ce n'est pas étonnant, puisqu'ils viennent de chanter ce Tancredi à Tourcoing dans la mise en scène de Jean-Philippe Delavault.
Alain Zürcher