Alcina OC
Théâtre des Champs-Élysées • Paris • 29/11/2010
Marc Minkowski (dm)
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Dominique Meyer, ancien directeur du Théâtre des Champs-Élysées, a invité Marc Minkowski et ses Musiciens du Louvre dans la fosse de l'Opéra de Vienne, qu'il dirige depuis cette saison. Aucun opéra baroque n'avait été monté au Staatsoper depuis 50 ans, et aucun orchestre français n'avait jamais eu l'honneur d'une telle invitation. En retour, Michel Franck, nouveau directeur du TCE, présente cette production en version de concert.
À Paris, on connaît surtout la mise en scène de Robert Carsen pour l'Opéra, dirigée par William Christie en 1999 et enregistrée dans la foulée.
L'orchestre de Marc Minkowski offre une interprétation de bon aloi, sans contrastes excessifs mais sans génie non plus pour l'architecture d'ensemble ni le drame. La couleur instrumentale est belle et riche, assez sombre, mais sans éclat particulier. Alors que Haendel a rejoint le fond de répertoire des théâtres français, on peine décidément à retrouver la passion de l'époque héroïque de la redécouverte de ce répertoire. Que serait-ce si les ensembles baroques étaient fonctionnarisés et établis dans un théâtre uniquement voué à ce répertoire !
L'auditeur a maintenant des interprétations "de référence" dans l'oreille, et une distribution idéale qu'il ne retrouve pas forcément sur scène. Que nous offre-t-on ce soir? Un plateau hétéroclite mais plutôt équilibré, où chacun offre une palette honnête de qualités et de défauts. Comme à son habitude, Veronica Cangemi se chauffe et s'engage progressivement en cours de soirée. Alternant d'abord sons ampoulés et sons trop ouverts, cette chanteuse instinctive et touchante réussit ensuite quelques beaux moments. Anja Harteros rappelle parfois Soile Isokoski par son émission un peu empâtée, "dans les joues", ce qui est sans doute un défaut inhérent à une voix habituée à un répertoire plus lourd. Très Comtesse des Noces dans son "Si, son quella", elle appuie beaucoup son médium, entre la voix de poitrine et une nasalité postérieure qui semble suscitée par une raideur de la racine de la langue. Son "Ah, mio cor" est beau et engagé, avec des sons assez vilains dans la partie centrale plus rapide, mais un phrasé long et une résonance plus haute dans les passages lents. Dans "Ombre pallide", c'est peut-être le tempo étrangement lent qui ne fonctionne pas et donne l'impression d'une sorte de miaulement au ralenti.
Vesselina Kasarova a tenu comme ce soir le rôle de Ruggiero lors des deux reprises de la production de l'Opéra de Paris en 2004 et 2007. Très familière de ce rôle, elle est la seule à réellement s'amuser avec. Elle manifeste un incroyable talent à tirer parti des inégalités de son émission, qu'elle caricature en une sorte d'auto-parodie qui touche parfois au délire - ce qui convient parfaitement à son personnage, ensorcelé par Alcina. Son "Sta nell'Ircana" devient un monument héroï-comique. On peine à en comprendre les paroles tant les inégalités de registre et les déformations vocales sont extrêmes, avec des sons très ampoulés dans le grave, mais l'ensemble est tonique, phrasé avec énergie et aussi jubilatoire que Nina Hagen chantant Frau Peachum. Vesselina Kasarova grossit moins sa voix dans son bel air avec flûtes. Kristina Hammarström, l'autre mezzo de la soirée, est plus "propre" mais moins excitante.
Vienne oblige, le rôle d'Oberto est tenu par un jeune adolescent issu des Wiener Sängerknaben, Shintaro Nakajima, qui lui apporte une fraîcheur et une musicalité sans faille. Benjamin Bruns présente un bon potentiel, avec un défaut fréquent chez les voix jeunes : nasaliser pour se rassurer sur l'accroche de sa voix. Ce qu'il fait assez vilainement dans son air alla Cosi fan tutte, "Semplicetto, a donna credi?", alors que la douceur du début de "Un momento di contento" lui convient mieux. Il nasalise et fausse cependant à nouveau dans cet air dès qu'il doit vocaliser.
Luca Tittoto a une émission claire et sombre à la fois, n'est-ce pas d'ailleurs le propre de l'idéal italien du chiaroscuro? Son articulation bien déliée lui permet des phrasés souples, ainsi dans son excellent "Pensa a chi geme".
Sans doute la mise en scène viennoise d'Adrian Noble a-t-elle rendu cette production plus captivante.
Alain Zürcher