Don Giovanni
Opernhaus • Zurich • 21/12/2010
Orchestre La Scintilla
Choeur de l'Opéra de Zürich Chef de choeur : Ernst Raffelsberger Theodor Guschlbauer (dm) Sven-Eric Bechtolf (ms) Stefano Giannetti (chg) Rolf Glittenberg (d) Marianne Glittenberg (c) Jürgen Hoffmann (l) |
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Comme toujours à l'opéra de Zurich, l'orchestre attaque avec un bel ensemble. Hélas ce soir, cela ne dure pas. Au cours même de l'ouverture, le tempo faiblit. Le style devient vite plus galant que tragique. De nombreux airs sont pris ensuite très lentement, ce qui suffit à en nuire à leur intensité dramatique. Mais surtout, ces tempi ne sont jamais relancés, resserrés, et au contraire se délitent encore à la moindre anicroche. Pour cette oeuvre, l'opéra de Zurich a rehaussé sa fosse au niveau du parterre. Il en résulte une acoustique très claire, qui ne laisse dans l'ombre aucun défaut des musiciens non plus que des chanteurs. Dans la fosse, nous avons pourtant La Scintilla, ensemble baroque issu de l'orchestre de l'opéra, et au pupitre Theodor Guschlbauer, chef certes moins baroque dont on ne sent à aucun instant la présence. Il met la moitié de "Batti, batti" à recaler l'orchestre et la chanteuse, et encore, dans une instabilité rythmique qui donne le mal de mer, sans être secouru par un violoncelliste peu affirmé. Une partie de la distribution de ce soir chantera les Noces de Figaro à partir du 26 décembre sous la baguette de Christopher Hogwood, qui n'aura aucun mal à être plus convaincant.
Ce Don Giovanni fait partie d'une "trilogie Da Ponte" montée par Sven-Eric Bechtolf depuis 2006 avec Rolf et Marianne Glittenberg aux décors et costumes. Sans atteindre au génie décapant de Michael Haneke au Palais Garnier en 2006, il convainc par l'intelligence de sa direction d'acteurs. Tout en respectant la lettre du livret, il en traduit les sentiments de manière très moderne. Loin de le banaliser, il arrive par exemple à rendre encore choquant aujourd'hui le cynisme de Don Giovanni. Pour servir ces intentions, il dispose du formidable Michael Volle. Il paraît par contre assez stupide de faire habiller une fille par Donna Elvira pendant l'air du Catalogue, car du coup elle n'écoute pas du tout Leoporello et aucune tension n'est possible entre eux. Cette tendance à présenter des "airs de concert" quand la situation ne l'inspire pas (ou au contraire lui inspire un divertissement scénique totalement étranger à l'action) se retrouvera par la suite pour l'air de Masetto, chanté hors de la présence de Don Giovanni et de Zerlina.
Contrairement à la version de Haneke, la vague transposition dans le temps n'apporte rien, pas plus que le décor unique : un salon-galerie qui se prolonge à l'infini au fond de la scène, non par un miroir mais par la projection inversée du plateau filmé depuis la salle. Les lumières sont constamment laides. Seuls le nombre et la disposition de quelques canapés changent au cours de la soirée. On s'émerveille même que Michael Volle et l'excellent Papageno du jeune Ruben Drole arrivent à se concentrer et incarner si brillamment leurs rôles dans un espace scénique aussi neutre et peu inspirant. Ruben Drole joue bien de sa voix, parfois assombrie et parfois allégée.
Le Masetto de Reinhard Mayr et le commandeur d'Andreas Hörl sont également très convaincants, comme la fraîche Zerlina de Martina Jankova. Son deuxième air, "Vedrai carino", rattrape le premier. Scéniquement, c'est un numéro de séduction explicite très réussi. Elle le chante avec chaleur et rondeur, charme et finesse de diction. Son jeu de scène est également très convaincant pendant son duo avec Don Giovanni, malgré le tempo très lent choisi par le chef.
La situation se gâte avec les deux rôles féminins "sérieux". Si Eva Mei et Malin Hartelius se détendent en cours de soirée, toutes les deux commencent avec une émission assez serré, plutôt en "heller Knödel" pour la première et en "dunkler Knödel" pour la seconde. C'est si étonnant qu'on se demande si cela ne provient pas d'un goût plus germanique pour des émissions féminines très différenciées des émissions masculines et restées donc plus artificielles, serrées et sous pression qu'en France ou aux États-Unis - goût qui résisterait encore partiellement au nivellement international des esthétiques vocales.
Le personnage de Donna Anna souffre de cette couleur vocale souvent nasale qui la rapproche plus de l'opérette "à l'ancienne". Sa voix est déjà plus libre pour son air, malgré le peu de soutien apporté par un orchestre impassible. à la fin de l'opéra, ses aigus certes bien placés sonnent étrangement "cocotte".
À ses côtés, l'Ottavio de Shawn Mathey, déjà entendu dans le rôle à Paris en 2006, ne sonne pas non plus très "serio", et même peu mozartien dans son "Dalla sua pace" attaqué par en-dessous, manquant de ligne et de toute notion de "canto spianato". "Il mio tesoro" lui va un peu mieux. Il forme avec Donna Anna un couple assez raide et bourgeois. Est-ce le souhait du metteur en scène? Il est peu crédible ou en tout cas inabouti.
Sven-Eric Bechtolf a l'idée très simple mais efficace de faire porter des lunettes noires au trio masqué. Vocalement, le trio manque de ligne. La scène où Don Giovanni est démasqué est enfin tonique, pour la première fois de la soirée. Peut-être les musiciens sont-ils pressés de se détendre pendant l'entracte qui suit? Ils resteront plus toniques ensuite, laissant moins tomber le tempo et avec lui l'action - sauf pour l'air d'Elvira, "Mi tradi", où Malin Hartelius écrase son médium. Cherche-t-elle de manière erronée à le timbrer davantage en dilatant sa cavité buccale par des actions musculaires volontaires comme l'aplatissement de sa langue et le soulèvement de son voile du palais? Il n'en résulte qu'un timbre artificiel, alourdi et comme prématurément vieilli.
Chacun des deux rôles étant bien pensé et bien tenu dramatiquement, le rapport entre Don Giovanni et Leporello fonctionne aussi très bien. La scène du repas final est très réussie.
Alain Zürcher