Stéphane Degout R
Théâtre des Champs-Élysées • Paris • 28/01/2011
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Le baryton français Stéphane Degout développe sa carrière internationale à l'opéra tout en revenant régulièrement au récital de mélodies. C'est même une fidélité particulière qu'il voue à sa partenaire comme à ses oeuvres de prédilection : Hélène Lucas l'accompagne depuis sa formation à l'opéra de Lyon, Ruben Lifschitz les conseille depuis cette même époque, et certaines oeuvres proposées ce soir étaient déjà parmi les premières travaillées à Royaumont et présentées en 2006 en récital au Châtelet.
C'est dans ses rôles les plus aigus que j'ai le plus apprécié Stéphane Degout sur scène. "Baryton Martin"? Il était en tout cas superbe dans La Ville Morte et rentre de New-York où il a chanté Pelléas. C'est aussi dans les mélodies les plus aiguës et faisant la part la plus belle au texte qu'il a brillé ce soir. Dans ses premiers Debussy, on entend plus Golaud que Pelléas. Dès son entrée sur scène, il adopte un timbre de "bronze" dont il ne se départira pas pendant toute la première partie. Ce bronze que l'on apprécie chez Ludovic Tézier est parfois nécessaire à l'opéra pour passer l'orchestre, mais il est bien trop monochrome et donc ennuyeux pour un récital de mélodies ! La diction en ressort brouillée par des résonances nasales constamment surajoutées. Ce "surtimbrage" joue un rôle de filtre, renforçant certains harmoniques mais en étouffant d'autres. Il nuit aux formants vocaliques et donc à la pureté de définition des voyelles. La voix de Stéphane Degout en paraît assombrie, sombrée, mais ses graves n'en sont pas pour autant facilités, ils sonnent même plus sourds qu'avec une émission plus claire. Plus claire donc plus légère, donc ne portant pas dans une salle aussi grande? Pas du tout, la seconde partie de ce récital en apportera la preuve !
Face à ce chant monochrome, la respiration de la musique vient d'abord, dans Debussy, de la poétique Hélène Lucas. Mais tous les compositeurs ne l'inspirent pas autant. Est-ce que Duparc lui fait toucher les limites de sa technique pianistique, ou est-ce qu'elle y retient volontairement son jeu, en accord avec le chanteur? On aimerait qu'elle lâche parfois la bride à son piano, fasse éclater les forte de La vie antérieure, en fasse ressortir les contrechants... Stéphane Degout, malgré ou à cause de son timbrage "opératique", ne donne pas non plus l'ampleur et la liberté que l'on attend de ces pièces. Le moins connu Galop, sorte de double (d'esquisse?) du Manoir de Rosemonde, invite lui aussi à plus d'élan.
Dès la deuxième mélodie "persane" de Saint-Saëns, Stéphane Degout trouve une émission plus brillante, dans le même schéma physique mais un peu aminci, encore plus vertical, avec un résultat plus clair et des aigus toujours très bien ancrés. Dans Duparc aussi, sa capacité à timbrer un haut-médium bien "accroché" et concentré était remarquable. C'est là assurément son point fort, ses "money notes".
Moins déliée dans les pièces de Chabrier que celles de Debussy, Hélène Lucas ne tire pas parti de leur écriture pourtant très pianistique. Au piano mais aussi à la voix, Les Cigales manquent d'élan, de pétillant.
Heureusement, l'entracte est l'occasion de je ne sais quel conseil salutaire ou simplement de prise de conscience ou de confiance. Stéphane Degout revient avec une émission libre et claire dès les deux mélodies de Reynaldo Hahn. Il faut du courage pour oser cette clarté face à une salle de grandes dimensions pour un récital, surtout quand on revient du Met ! Les Histoires naturelles de Ravel puis les Ballades de François Villon sont ensuite une merveille de musicalité, une promenade au rythme imperturbable où Stéphane Degout dépose ses mots tout au long d'un chemin ponctué par le piano. Dans Le Cygne par exemple, sa voix est toujours très bien timbrée mais non surtimbrée. Son articulation comme sa définition vocalique deviennent superbes. Sa Pintade est ensuite excellemment tonique, mais de manière directe et mordante, sans aucun son voilé par un surtimbrage mais sans aucun son trop ouvert ou trop "parlé" non plus ! Les Ballades sont ensuite aussi des balades, avec leurs textes distillés en longues phrases sur le pas régulier de la marche.
En bis, les deux artistes nous offrent tout le Bestiaire de Poulenc. Bien que ces pièces sont aussi fondées sur le texte, sa déclamation est moins parfaitement déroulée que dans Ravel et Debussy. Stéphane Degout pourrait y trouver encore plus de simplicité, ce qui serait plus facile avec le soutien d'un piano plus assuré, et par exemple un tempo plus stable dans La Carpe !
Alain Zürcher