Cendrillon
Opéra Comique • Paris • 07/03/2011
Orchestre et choeur des Musiciens du Louvre - Grenoble
Marc Minkowski (dm) Benjamin Lazar (ms) Cécile Roussat et Julien Lubeck (chg) Adeline Caron (sc) Alain Blanchot (c) Christophe Naillet (l) |
|
Cendrillon a été créé dans cette salle même en 1899, quelques mois après son ouverture. Opéra méconnu de Massenet, il trouve donc tout naturellement sa place dans la programmation de Jérôme Deschamps.
La toute nouvelle salle ayant été équipée à la pointe de l'électricité par son directeur (et metteur en scène !) Albert Carré, Cendrillon est une féerie qui utilisait des éclairages nouveaux et divers effets de machines. Pour la remonter ce soir, on trouve une équipe familière des tragédies lyriques baroques, avec leurs effets d'éclairage (mais à la bougie !), leurs ballets et leurs machines. On reste cependant un peu sur sa faim sur les deux plans orchestraux et scéniques. Est-ce la faute de Massenet ou des Musiciens du Louvre-Grenoble si l'orchestre sonne si pompeux et ennuyeux, du moins au cours des deux premiers actes?
Côté féerie, le passionnant programme de salle analyse le phénomène avec intelligence, faisant appel comme c'est l'habitude de l'Opéra-Comique à tout ce que les universités françaises comptent de spécialistes en la matière. On rêve entre les lignes à des transparences bleutées, celles sans doute des "beaux pays bleus" évoqués par l'adresse finale au public ("La pièce est terminée, on a fait de son mieux pour vous faire envoler par les beaux pays bleus"), dont Massenet emprunte la tradition au théâtre de tréteaux. Étaient-ce les mêmes pays bleus qui, trente ans auparavant, stimulaient déjà les fantasmes de Pauline et du Baron dans la Vie Parisienne d'Offenbach? On ne voit sur scène ce soir que du noir. Pas d'effets ni de trucages non plus pour habiller Cendrillon ou faire apparaître son carrosse, mais presque un naturalisme épuré à la Louise, un univers stylisé, représenté par deux meubles cérusés dans une cage métallique - pourquoi cette cage? Hommage à Eiffel, aux galeries suspendues du Grand Palais? Elle offre un bon espace de jeu, mais un médiocre espace esthétique.
Beauté et mystère ont été concentrés sur une seule scène, celle de la prière sous le "chêne". Pas de chêne bien sûr, mais un beau voile noir incrusté d'un réseau de fines branches, qui s'illuminent ensuite de petites ampoules. Sous ce voile, deux autres voiles enveloppent des danseurs virevoltant à la Loïe Fuller, le tout sur fond de choeur lointain et sous les incantations de la Fée ! C'était sans doute "la scène à faire", mais pourquoi ne pas avoir laissé ce "merveilleux" irriguer un peu le reste du spectacle?
Musicalement, Marc Minkowski voit dans Cendrillon le chef d'oeuvre de Massenet et s'émerveille de la variété avec laquelle chaque personnage y est peint. On pourrait tout aussi bien considérer cela comme une absence d'inspiration, un patchwork grouillant de citations, sans unité ni mélodies fortes. Pourquoi est-ce l'air d'Agathe du Freischütz et nul air de Cendrillon qui me trottait dans la tête à l'entracte et à nouveau en sortant du spectacle? Tout au long de la soirée, on entend passer les échos de Grétry et de parodies baroquisantes, mais aussi des contemporains et devanciers de Massenet, sans oublier ses propres ouvrages ! Il est vrai que c'est souvent le cas avec une oeuvre ainsi découverte après coup. En écoutant Cendrillon d'abord et ses contemporaines ensuite, on s'extasierait sans doute à tout ce qui était en germe ou déjà synthétisé dans cet opéra ! On entend donc une Fée-Titania la Blonde, une Cendrillon-Marguerite découvrant son bouquet, un Prince-Charlotte mâtiné de Grétry, après l'entracte une Cendrillon-Mireille, une évocation wagnérienne de l'hérédité de Mme de la Haltière, qui fend les flots tel un Vaisseau Fantôme, un père-Frère Boniface (également créé par Lucien Fugère) chantant sa sauge petite saugette, puis un père-Des Grieux évoquant sa maisonnette toute blanche au fond des bois, et enfin une Cendrillon-Mélisande du dernier acte veillée par son père-Arkel en plus aigu - mais pas père de Louise, pourtant aussi créé par Lucien Fugère.
Dans ce décor moyennement merveilleux et les superbes costumes d'Alain Blanchot, Benjamin Lazar donne, par une excellente direction d'acteurs, une nouvelle preuve de son talent et de sa versatilité. Tous les personnages sont bien distribués et caractérisés. Le choix d'Aurélia Legay et Salomé Haller pour les deux soeurs est particulièrement judicieux. Quant à Ewa Podles, avec son port et ses brusques passages en poitrine, elle est bien sûr idéale en Mme de La Haltière. Les trois sont désopilantes quand elles caquètent ensemble la scène du bal.
Blandine Staskiewicz, sorte de succédané français de Magdalena Kožená, est une excellente Cendrillon. Elle concentre très vite son émission trop ouverte du début, et seules deux notes du "chêne des fées" échappent un peu à sa tessiture, dans ce grand solo étonnamment dramatique pour un conte ! Sa voix est malléable quoiqu'elle la pousse parfois trop. En Prince Charmant, Michèle Losier a une émission très solide. Son duo avec Cendrillon est magnifiquement lyrique. Église Gutiérrez a la rude tâche de chanter la Marraine, sorte de Reine de la Nuit gentille mais inquiétante, qui doit avoir autant de graves (poitrinés) que d'aigus ! Le passage d'un registre à l'autre est parfois périlleux pour cette chanteuse pourtant habituée aux sopranos coloratures belcantistes. Laurent Alvaro remplace Franck Leguérinel qui aurait sans doute joué un père plus bouffe. Sans être Alain Vernhes, il lui donne une certaine bonhomie.
Une oeuvre particulièrement éclectique, dont les deux derniers actes réussissent à captiver !
À voir jusqu'au 15 mars à l'Opéra Comique. à écouter le 9 mars à 20h en direct sur Radio Classique.
Alain Zürcher