Le Freischütz
Opéra Comique • Paris • 07/04/2011
Orchestre Révolutionnaire et Romantique
Sir John Eliot Gardiner (dm) Dan Jemmett (ms) Cécile Bon (chg) Dick Bird (d) Sylvie Martin-Hyszka (c) Arnaud Jung (l) |
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L'Opéra Comique nous présente le Freischütz en version française. Paradoxe, car cette version n'est plus un "opéra comique" (alternance de texte parlé et d'airs chantés), mais un "opéra", grâce aux récitatifs composés par Berlioz, un peu comme Guiraud a mis en récitatifs les dialogues parlés de Carmen. Mais paradoxe inepte, puisque l'interdiction ou l'obligation des récitatifs n'a jamais découlé que du "privilège" accordé à telle ou telle salle, lui donnant le droit de monter des opéras.
Présenter l'oeuvre dans sa version française a au moins le mérite de l'originalité ! Berlioz ne démérite pas non plus, avec des récits d'une discrétion absolue, que Gardiner a de plus choisi de faire chanter d'une manière très proche de la parole. La distribution vocale qu'il a réunie est d'ailleurs, comme il l'affectionne, légère et mozartienne - comme les chanteurs qui ont créé l'oeuvre ! La salle Favart mais aussi l'orchestre aux instruments d'époque autorisent cette légèreté.
Le français des nombreux chanteurs anglophones est très bon, celui du choeur Monteverdi est comme d'habitude parfait. Les surtitres sont tout de même bienvenus, d'autant que la mémoire superpose les paroles allemandes d'origine à celles chantées ce soir. La langue française s'avère par ailleurs très chantable.
Bien que cette version de Berlioz ne soit donc pas stricto sensu un opéra comique, la taille de la salle, la légèreté des voix et les timbres et phrasés orchestraux nous permettent d'entendre tout ce que Weber doit à l'opéra comique français, dont il était un grand connaisseur et amateur. En tant que directeur musical des opéras de Prague et de Dresde, il en avait d'ailleurs monté un grand nombre. Si l'on ajoute l'italianité de mélodies comme celle de l'air du ténor Max, Weber ne nous offre pas seulement un opéra germanissime par son univers, mais les "goûts réunis" de son époque.
L'ouverture formidablement interprétée par l'Orchestre Révolutionnaire et Romantique nous fait tout de même rêver à la manière dont sonnerait Wagner sous la baguette de John Eliot Gardiner ! Et les Troyens de Berlioz lui-même pointent le nez ici et là, dans telle trouvaille d'orchestration, tel petit motif des vents ou des cordes... N'est-ce pas avant tout par l'orchestration que Weber a surpris et surprend même encore? Cette orchestration où chaque instrument a une âme, comme chaque arbre de la forêt. Le premier orchestre romantique, en somme.
Le plateau nous transporte cependant moins que l'orchestre. Dan Jemmett nous évite certes le kitsch le plus ridicule, mais c'est pour situer l'action dans un lieu à mi-chemin, qui ne renie pas une certaine atmosphère villageoise mais tire l'oeuvre du côté du Chalet d'Adam, de la Somnambule de Bellini ou du Rossini bouffe que Berlioz détestait, et ce faisant lui fait perdre en profondeur.
Le premier acte se passe ainsi à la foire, devant un stand de tir. Agathe et Annette vivent dans une roulotte. Heureusement, la Gorge aux Loups nous offre la superbe toile peinte d'un torrent dévalant entre des parois rocheuses. Les apparitions n'y sont cependant que les prosaïques passages de personnages au fond de la scène, derrière les troncs d'arbres-épines de roses, tandis que Gaspard émerge à peine du sol, comme Jochanaan de sa citerne. Le choeur fait l'objet d'un essai de spatialisation aux portes d'accès à la salle.
La direction d'acteurs de Dan Jemmett est heureusement excellente, ce qui nous évite une catastrophe du genre Luisa Miller à la Bastille.
Gaspard incarne le mal. Vocalement, Gidon Saks a d'ailleurs tellement enlaidi sa voix en "cravatant" à outrance qu'il ne peut plus chanter que les méchants, ce qui est après tout un créneau porteur pour un baryton-basse. Il y excelle aussi par son imposant jeu scénique. Tout raffinement est ici inutile et la justesse même est superflue. Luc Bertin-Hugault a également une émission assez appuyée sur le larynx et un vibrato irrégulier, tout en étant efficace dans le registre "Commandeur de Don Giovanni" ou "Moine de Don Carlos".
Andrew Kennedy est un Max un peu raide physiquement et donc un peu tendu vocalement. Il peine souvent à se caler corrrectement dans les ensembles.
Comme Andrew Kennedy, Sophie Karthäuser n'est pas exempte de tensions. Dès son entrée, elle tire en arrière les coins de sa bouche, émettant de ce fait quelques aigus trop latéraux et donc aigrelets. Au troisième acte, son émission se serre en cours de phrase, son vibrato devenant alors irrégulier. Elle aurait sans doute intérêt à gérer son souffle moins haut.
Virginie Pochon est une délicieuse Annette. Si l'on prend le parti de distribuer tous les rôles à des voix légères, il est logique que le seul rôle vraiment léger de la partition tire son épingle du jeu ! Grâce à son émission concentrée et souple sur toute sa tessiture, Virginie Pochon négocie aussi merveilleusement son grave.
Samiel est parlé par Christian Pelissier, à l'impact vocal et à la présence indéniables ! Berlioz a en effet "osé" ne pas mettre en musique les quelques mots qu'il prononce. Il a par contre supprimé le texte du début du troisième acte, et donc la scène au cours de laquelle Max gaspille ses six premières balles pour ne plus garder que la septième, fatale. Cette disparition est palliée ce soir par l'ajout d'un mélodrame joué par Max et Gaspard sur fond du Concertino pour clarinette op.26 de Weber. Le ballet que Berlioz a dû ajouter pour respecter les normes parisiennes est celui que Berlioz a orchestré à partir de l'Invitation à la Valse de Weber. Valse ce soir très rurale, en forme de bal populaire.
Le choeur Monteverdi est comme toujours excellent. Sa partie masculine nous offre un savoureux choeur des chasseurs. On ne peut reprocher au petit ensemble féminin des demoiselles d'honneur que de blanchir sur les "ou" aigus d'amour, en un défaut typiquement choral et encore plus typiquement britannique. La scie ("D'un époux...") qu'il chante à Agathe pour ses noces est désopilante, avec un comique de répétition digne des Marx Brothers, qui se conclut par un trait grinçant de violoncelle sur la dernière reprise, après la découverte de la substitution d'une couronne mortuaire à la couronne nuptiale. Berlioz s'en souviendra ! Les solistes chantent eux aussi, dans une harmonie hélas imparfaite, un ensemble final de remerciement au seigneur Ottokar.
À voir jusqu'au 17 avril 2011 à l'Opéra Comique.
Alain Zürcher