Matthias Goerne (Lieder orchestrés) C
Salle Pleyel • Paris • 12/04/2012
|
Matthias Goerne est un invité privilégié de l'Orchestre de Paris. En sus du cycle Schubert accompagné au piano par le précédent directeur musical de l'orchestre Christoph Eschenbach, il donne ce soir un programme de Lieder orchestrés sous la direction de Paavo Järvi, directeur musical reconduit jusqu'en 2016.
Schubert n'ayant jamais orchestré lui-même ses Lieder pour voix et piano, nous entendons des orchestrations de qualité très variable : anonyme mais très honnête pour le Lied simple et frais An Sylvia, très pompeuse pour Greisengesang par Brahms, sirupeuse pour Im Abendrot par Reger et étonnamment plate et neutre pour Tränenregen par Anton Webern. Les Lieder de Richard Strauss sont orchestrés soit par lui-même avec grande finesse (Morgen si lumineux !), soit par Robert Heger avec beaucoup de maladresse (Heimliche Aufforderung entre tintements légers et nappes de violons !). Si ce genre du Lied avec orchestre devait connaître un succès durable, il ne serait pas difficile de réorchestrer ces Lieder de manière bien plus intéressante et juste !
Matthias Goerne déploie les fameux tons "gris" de sa palette. Arrondi physiquemet, il ne connaît pas ce soir de raucité, mais sa voix n'a bien sûr jamais la fraîcheur et la clarté appelées par Schubert - ou spontanément associées à ce compositeur. Le programme fait alterner les Lieder de Schubert et de Strauss, musicalement très différents mais réunis dans une couleur vocale et même un phrasé proche par Matthias Goerne et leurs orchestrateurs tardifs. Le fait que ces Lieder soient orchestrés contribue aussi à ralentir les tempi, jusqu'à l'étrange pour Tränenregen qui y gagne en envoûtement ce qu'il perd en légèreté ironique.
Conscient cependant de la nécessité de "placer" différemment les Lieder des deux compositeurs, Matthias Goerne "tube" naturellement ceux de Strauss en les canalisant vers ses lèvres avancées et actives. Pour Schubert, moins spontanément, il se tire sur le nez à la manière de Neil Shicoff, écarquille davantage les yeux et lève davantage la tête. En bis, son An die Musik manque tout de même de simplicité et de lumière.
Pour les deux compositeurs, Matthias Goerne danse et dirige des bras et du torse, ce qui l'aide surtout à tenir les tempi lents. Sa respiration est très haute, large et bruyante. Après avoir largement ouvert sa cage thoracique, il attaque le son en s'affaissant et en appuyant vers le bas, tout en gardant la cage très ouverte. Cette technique, que peu certes gagneraient à imiter, lui convient. Son legato est avant tout un legato du souffle (et non de la résonance), conduit de manière très active d'un bout à l'autre de ses phrases. Ses phrases sont souvent courtes, soit pour un effet de légèreté et de simplicité dans An Sylvia ou au début de Greisengesang, soit qu'il ne recherche aucun effet particulier de tenue de phrase, soit plus étrangement quand il détache "wie du" ou le "Nacht" final de Heimliche Aufforderung. Mais il est aussi capable d'un souffle très long : dans Morgen par exemple, il termine quasi sans voix, mais sans respirer non plus.
Si ces effets de legato et d'homogénéité fascinent et concentrent l'auditeur (et spectateur du ballet ainsi dansé), le timbre souvent étouffé et sourd ne contribue pas à la clarté de la langue, même dans des Lieder que l'on connaît par coeur. Ruhe, meine Seele, avec ses accents wagnériens, est le clou de la soirée par son legato et la couleur sombre et "fermée" que Goerne réussit à lui donner sans pour autant grossir sa voix, pour un effet inquiétant et contenu. Sa voix mixte est également excellente sur "stiehlt sich lichter Sonnenschein".
Après l'entracte, la symphonie n°1 de Schumann est interprétée par l'Orchestre de Paris avec des attaques plus franches et nerveuses que l'ouverture de Manfred qui introduisait la soirée.
Alain Zürcher