Le Ring (Nietzsche/Wagner)
Théâtre de l'Athénée • Paris • 02/05/2012
Orchestre Lamoureux
Dominique Debart (dm) Alain Bézu (ms) Joseph Danan (dr) Mylène Berthaume (dc) Laurent Mathieu (v) Marc Delamézière (l) |
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Alain Bézu et Dominique Debart, directeur de l'Ensemble de Basse-Normandie, se sont fait une spécialité de spectacles qui mettent en correspondance musique et littérature. C'est ainsi que naissent successivement La Querelle des bouffons autour de la musique de Rameau à Pergolèse et du Neveu de Rameau de Diderot, La Bonne Chanson mêlant le récit de Mathilde Mauté (femme de Paul Verlaine) à la musique de Gabriel Fauré sur des textes de Verlaine, Pierrot entrecroisant L'Homme sans qualités de Robert Musil et Le Pierrot lunaire de Schoenberg...
Le propos est intéressant. Nietzsche a en effet adulé Wagner avant de le honnir, et ses écrits sont pertinents. Incarnant le philosophe, le comédien François Clavier nous démontre ainsi que l'idéal révolutionnaire (et nietzschéen) représenté par le "sur-homme" Siegfried a été ensuite renié par Wagner au profit d'une vision schopenhauerienne pessimiste qui sous-tend la fin du Ring ! Des extraits de la Tétralogie illustrent le propos. Pas les plus grands airs mais plutôt les passages les plus narratifs de chacun, et les scènes en duo entre Wotan, Brünnhilde et Siegfried.
Avec l'orchestre d'origine de Wagner, les chanteurs de ce soir seraient bien sûr parfaitement inaudibles, mais cette production donne l'occasion à de jeunes chanteurs d'aborder ces rôles écrasants dans un contexte de musique de chambre. Les nombreux jeunes musiciens de l'orchestre vivent aussi l'expérience certainement exaltante de jouer une manière de Ring ! Sous la direction de Dominique Debard, l'arrangement de Cyrille Aufort est parfaitement convaincant et nous plonge sans réserves dans l'univers wagnérien.
Moins convaincante est la mise en scène prétendant ne montrer qu'une répétition, montrant l'envers du décor, les accessoiristes, donnant des répliques au chef etc. Le procédé est usé et fait quitter l'univers wagnérien, quand l'exaltation nietzschéenne, même dans la critique, nous y aurait maintenus.
La vidéo est parfois abstraite, sorte de logiciel de création de papier peint psychédélique, parfois comique quand elle nous montre Hagen, Gudrun et Alberich filmés en roman photo dans une esthétique à la Borat. Sans doute aurait-il été possible d'aller plus loin dans cette veine, ou pourquoi pas en exploitant les Nibelungen de Fritz Lang qu'évoque Alain Bézu dans ses notes d'intention.
Sur scène, Muriel Ferraro est une habituée de l'Athénée. Déjà appréciée dans Les Enfants Terribles et L'Egisto, elle est inattendue mais convaincante en Brünnhilde. Paul Gaugler a le physique et le timbre d'un "jugendlicher Heldentenor". Moins à l'aise dans l'aigu, il séduit cependant dans son récit d'après l'entracte et dans son duo avec Brünnhilde - dont le dernier air est également très beau. Tous deux chantent un allemand idiomatique. Ce n'est pas le cas de Wotan, dont la voix et le style semblent plus adaptés à la mélodie française. Il ne semble en fait jamais quitter sa voix parlée, ce qui l'empêche d'émettre les aigus et les forte de son rôle. Est-ce une volonté du metteur en scène d'en faire un narrateur, un acteur plus qu'un chanteur? Ou une méforme passagère? La première partie du spectacle reste du coup un peu trop distanciée, avant que la "mayonnaise" ne prenne mieux après l'entracte. Une réflexion intéressante en tout cas, plus fertile et stimulante que la bête idée de présenter les Noces de Figaro entrecoupées de dialogues de Beaumarchais...
À voir au Théâtre de l'Athénée jusqu'au 11 mai 2012.
Alain Zürcher