Re Orso
Opéra Comique • Paris • 21/05/2012
Susanna Mälkki (dm)
Richard Brunel (ms) Bruno de Lavenère (dc) Sandro Maria Campagna (chg) Laurent Castaingt (l) Jean Bresson et Carlo Laurenzi (informatique IRCAM) |
|
Nouvelle coproduction avec la Monnaie de Bruxelles, cette création était attendue depuis l'an dernier.
Marco Stroppa est un spécialiste de l'informatique musicale et a pu faire appel à toutes les ressources de l'IRCAM, au sein duquel il a travaillé plusieurs années. Luxe supplémentaire, les merveilleux instrumentistes de l'Ensemble InterContemporain sont dans la fosse - et en sortent quand le tyran Orso les oblige à partager son rire forcé.
À la lecture des intentions de l'équipe, on sent une excitation digne de "geeks", "nerds" et autres passionnés de jeux vidéo. Re Orso est en effet un grand terrain de jeux pour la réalisation de prouesses informatiques et électroniques. Sur ce plan, l'oeuvre est complexe et réussie. Plusieurs écoutes seraient nécessaires pour reconnaître tout ce que Marco Stroppa annonce y avoir mis, ses "Leitgestalten", les procédés d'écriture qui défilent... et les multiples jeux en liaison avec la sacrosainte "dramaturgie", qui a nourri toute la construction du livret puis la composition.
Ce que l'on remarque facilement, c'est l'association d'une danse et d'un instrument à chaque personnage, ainsi que les procédés de glissando et de battement en cloche. La spatialisation est également efficace : elle n'enveloppe pas le spectateur comme un film hollywoodien, mais ne fait pas perdre non plus complètement, comme une mauvaise amplification de comédie musicale, la localisation du personnage en train de chanter. Marco Stroppa fait grand cas de son "totem acoustique", colonne de hauts parleurs qui surgit de la scène tout à la fin de l'oeuvre et fait tourner des sons en spirale pendant quelques instants.
Si la première partie est confiée aux instruments et fait entendre les voix amplifiées mais peu déformées, la seconde partie est plus électronique.
Sur scène, on est malheureusement gêné par la violence de la mise en scène "trash", du moins pour tous ceux dont cela ne constitue pas l'univers humain ou télévisuel quotidien. Ce n'est pas la géniale stylisation, certes riche d'hémoglobine, de Daniel Mesguisch dans Titus Andronicus, mais plutôt la vulgarité des Idomeneo et Lucio Silla de Ludger Engels à Freiburg, voire l'abjection d'Yvonne Princesse de Bourgogne de Philippe Boesmans mise en scène par Luc Bondy, ou l'effroi du Dernier roi d'Écosse au cinéma. Les costumes noirs et les visages lourdement fardés font même penser à du Desbordes au festival de Saint-Céré ! On est en tout cas très loin des premiers codes esthétiques et moraux issus des séries télévisées américaines introduits par Peter Sellars sur les scènes d'opéra, qui rétrospectivement paraissent bien inoffensifs. Loin aussi de l'intelligence décapante et juste d'un Haneke pour Don Giovanni. Produit d'un monde "post-DSK", cette mise en scène "bénéficie" aussi de la liberté donnée aux chanteurs par l'amplification : ils n'ont plus besoin de se camper noblement sur leurs deux jambes pour chanter, puisque le moindre sussurement est audible grâce à l'amplification. Leurs mouvements peuvent donc être les mêmes que ceux d'acteurs de "sitcoms".
Re Orso est une sorte de Néron, c'est un contre-ténor comme chez Monteverdi. L'oeuvre nous donne à voir la docile obséquiosité de ses courtisans, dont le bouffon et exécuteur des basses oeuvres Papiol, qui rappelle le savant fou d'Adèle Blanc Sec. Une histoire de pouvoir donc, qui par le dégoût qu'elle inspire vise peut-être à accroître encore la méfiance du spectateur vis à vis du politique? Une oeuvre en tout cas musicalement riche, à réécouter un jour chez soi, tranquillement assis dans le noir.
À voir jusqu'au 22 mai à l'Opéra Comique.
Alain Zürcher