Karine Deshayes R
Musée d'Orsay • Paris • 18/04/2013
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Quelle chance de pouvoir entendre Karine Deshayes dans le cadre intime de l'auditorium du Musée d'Orsay ! "L'Exotisme en musique", tel est le thème du concert, très approprié dans une ancienne gare qui expose maintenant de nombreux tableaux orientalisants.
Les pièces choisies sont parmi les plus souvent entendues en récital, à l'exception peut-être du Boléro de Gounod, du Cantu di Malincunia de Tomasi ou des Rossini. C'est l'occasion d'apprécier comme telle mélodie peut à un moment donné être parfaitement "dans la voix" d'une interprète, tandis que telle autre mélodie, facile pour une autre, sonnera moins naturelle. Chaque morceau révèle aussi des qualités différentes dans la voix de la chanteuse, mais aussi dans le jeu du pianiste ! Philippe Cassard sonne souvent naturel (dans Bizet, Delibes...), voire idiomatique (Debussy), mais parfois étrange (Asie de Ravel, L'Invitation au Voyage de Duparc) : Asie souffre sans doute de la comparaison avec les couleurs de l'orchestre que l'on a dans l'oreille ; le piano de Philippe Cassard y sonne rude, sans la sensualité qui aurait été possible même au clavier. La voix est dès lors seule à incarner la caresse de la phrase, comme elle est seule à phraser dans L'Invitation au Voyage, sur un piano qui s'attache à refuser les effets chaloupés, suspensions et épanchements qui font partie des (mauvaises?) traditions d'interprétation de cette pièce. Mais dès les deuxième et troisième pièces de Shéhérazade et les deux autres mélodies de Duparc, Philippe Cassard retrouve la souplesse que l'on attend.
Karine Deshayes nous fait goûter un magnifique legato, une respiration calme, un timbre crémeux et concentré. La qualité de sa diction varie selon les pièces. Certaines parmi les premières l'entraînent un peu "dans les joues", tandis qu'elle adopte pour d'autres un placement plus fin, plus haut et concentré. Elle semble en permanence chercher à maintenir une certaine détente de la mâchoire, avec un léger décrochement de l'articulation temporo-mandibulaire, la lèvre supérieure détachée dans un léger sourire, et peut-être une concentration des sensations vibratoires à travers le fameux point Mauran !
Karine Deshayes concentre son médium et gère bien son passage en poitrine dans Les adieux de l'hôtesse arabe. Delibes et Roussel sont plus faciles pour des voix plus légères, et l'extrait de Tomasi est trop court pour permettre de l'apprécier. Shéhérazade est idéalement dans la voix de Karine Deshayes, comme ensuite les Duparc et les Trois chansons de Bilitis de Debussy, où elle est rejointe par Philippe Cassard pour une interprétation en écho complice. Dans ce répertoire, son articulation est très nette, son timbre magnifiquement concentré et sa ligne très bien conduite.
Après un léger Nizza, la Canzonetta spagnuola de Rossini est très efficace par la mécanique simple et inexorable de sa progression, partant d'un lent balancement pour aboutir à un emportement virtuose. En bis, Karine Deshayes nous offre des extraits de ses rôles les plus récents : Rosine et Carmen ! Admirable dans la première, elle parvient à chanter ses grands intervalles vers l'aigu en conservant des ouvertures buccales très raisonnables, avec une finesse de timbre très efficace, des aigus tranchants mais sans dureté. Elle orne de manière intéressante sa dernière reprise. Dans Carmen, Karine Deshayes aurait pu garder une part de cette vocalité. Au lieu de quoi elle cède aux sirènes du poitrinage vériste et élargit trop ses ouvertures, ce qui crée des inégalités dans sa voix.
Alain Zürcher