Ariadne auf Naxos
Théâtre de l'Athénée • Paris • 16/05/2013
Ensemble Le Balcon
Maxime Pascal (dm) Alphonse Cemin (ch) Benjamin Lazar (ms) Adeline Caron (sc) Alain Blanchot (c) Christophe Naillet (l) |
|
En accueillant Le Balcon, L'Athénée confirme sa place de théâtre lyrique le plus inventif de Paris avec l'Opéra Comique. Cette résidence semble paradoxale, puisque Le Balcon a été fondé sur l'idée de sonoriser la musique contemporaine et classique afin de pouvoir la présenter même dans des lieux acoustiquement inadaptés. Ce n'est bien sûr pas le cas de l'Athénée, mais l'ensemble développe ici d'autres axes de recherche : interaction entre chanteurs et musiciens, entre scène et salle... Guidée non seulement par le directeur musical Maxime Pascal et le chef de chant Alphonse Cemin mais aussi par le metteur en scène Benjamin Lazar, la troupe nous convie à une rare fusion de tous les arts ! Pas de vrai décor pourtant, et les costumes sont presque quotidiens. Mais l'orchestre étagé sur des gradins, depuis la fosse jusqu'aux cintres, constitue le décor, et l'engagement dramatique de chacun vaut toutes les mises en scène, pour ce qui est pourtant annoncé comme une version de concert !
La présence et la concentration de chacun sont intenses, les visages très expressifs, dans l'esprit des éclairages à la bougie mais sans bougie. Héritiers aussi de la gestuelle baroque, les comédiens créent et déclinent un vocabulaire de gestes et de postures, toujours en accord avec la musique. Leurs bras semblent souvent la matérialiser devant eux et la soutenir, la caresser, la faire danser ou l'étreindre. Chez Ariane, c'est une autre gestuelle plus emphatique, occupant l'espace avec ses bras écartés, qui comme sa coiffure et sa robe rappellent les photos de scène des premières divas fixées par la photographie.
Sur sa chaise, le Compositeur semble ne jamais fermer les yeux, intense de présence. Ariane le remplace ensuite dans cette incarnation. En retrait sur des gradins surélevés pendant le prologue, la troupe du spectacle sérieux. Virevoltants autour du Compositeur puis d'Ariane, Zerbinetta et ses acolytes plus légers. Julie Fuchs exécutera pendant son grand air tout un numéro de séduction auprès des musiciens et du public.
L'expressivité des timbres comme du discours musical sont remarquables. On entend là des solistes extraordinaires, portés sans doute encore plus haut par un travail de troupe particulièrement stimulant. On entend des solos de basson ou de clarinette, des phrases de cor ou de violoncelle qu'envieraient les meilleurs orchestres, de jeunes chanteurs qui démontrent une incroyable maturité dans un répertoire pourtant peu approfondi en France. C'est comme une autre vie, un univers parallèle que dévoile Le Balcon. Il existe donc une jeunesse, des talents et un avenir en France, en marge des couvertures de magazines et des "grandes maisons" !
Ce travail de troupe de toute une génération, cette écoute mutuelle si développée et les expériences chorales de plusieurs chanteurs trouvent leur aboutissement naturel dans les passages de musique de chambre vocale, d'abord entre les compères de Zerbinetta, ensuite entre les compagnes d'Ariadne, qui sont d'un aboutissement musical quasi inouï.
Souvent, on semble palper l'essence de la musique non seulement de Strauss mais aussi de Wagner, cette fusion du drame et des sons, des timbres instrumentaux et vocaux, qui sont si peu souvent réalisés dans les productions habituelles de leurs oeuvres. Des tempéraments se révèlent, comme celui de Léa Trommenschlager que l'on espère en grande wagnérienne, ou de Damien Bigourdan qui serait déjà un Mime idéal. L'allemand est idiomatique chez plusieurs. Bacchus est hélas souffrant, ce qui nous prive de la belle scène en duo avec Ariadne à la fin de l'oeuvre, mais le niveau vocal est sinon excellent : superbe mezzo bien phrasé d'Anna Destrael en Compositeur, parfaite Zerbinetta pas si légère que ça de Julie Fuchs... Camille Merckx a une belle voix d'alto, Cyrille Dubois est un ténor clair et efficace, Virgile Ancely un baryton très naturel et à l'aise en allemand, Vladimir Kapshuk un Liedersänger idiomatique avec les caractéristiques de timbre de son école nationale.
Tous sont présents sur scène presque en permanence, où ils font mine de s'assoupir, les yeux fermés, quand ils ne jouent ou ne chantent pas. C'est en tout cas une bonne idée pour se détendre et se concentrer tout en se laissant nourrir par la musique !
La seule faiblesse du spectacle réside comme d'habitude dans l'oeuvre elle-même : si Strauss introduit de la comédie dans sa tragédie, ce n'est pas dans le spectacle présenté pendant l'acte unique, mais dans la seule annonce, au prologue, que comédie et tragédie devront être jouées simultanément dans ce spectacle. On regrette ensuite que ce ne soit pas le cas, car les tirades d'Ariadne sont parfois effectivement ennuyeuses, comme le prédit Zerbinetta, et les interventions censées être légères de la troupe "italienne" ne le sont jamais tellement. Rejetant ailleurs la rivalité entre paroles et musique, Strauss fait ici pencher la balance un peu lourdement vers la tragédie.
Un formidable travail d'ensemble à découvrir !
À voir au Théâtre de l'Athénée jusqu'au 19 mai 2013.
Alain Zürcher