La Vestale
Théâtre des Champs-Élysées • Paris • 18/10/2013
Le Cercle de l'Harmonie
Choeur Aedes Jérémie Rhorer (dm) Eric Lacascade (ms) Daria Lippi (dr) Emmanuel Clolus (d) Marguerite Bordat (c) Philippe Berthomé (l) |
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Le Théâtre des Champs-Élysées a eu l'excellente idée de monter La Vestale, oeuvre méconnue qui ne restait dans les mémoires que chantée par Callas en italien. Le Cercle de l'Harmonie nous en restitue les couleurs instrumentales d'origine et la replace ainsi à la source du "grand opéra à la française" et annonçant déjà Berlioz.
Malheureusement, la soirée n'acquiert consistance et cohérence qu'au troisième acte, après l'entracte. Malgré la facilité apparente du propos musical, l'oeuvre ne semble pas suffisamment répétée. Les imprécisions et décalages sont constants entre fosse et plateau. Le discours musical semble souvent confus. L'orchestre est sonore malgré l'absence d'instruments trop modernes.
Les voix choisies sont assez légères par rapport aux exigences de leurs rôles, mais plus encore, elles sont victimes de leur propre conception de l'ouvrage, de leurs propres modèles vocaux. Une production de type "opéra comique" aurait été possible avec cette distribution, où le naturel de l'émission aurait permis la souplesse de la ligne vocale et la compréhension du texte. Au contraire, la plupart des chanteurs grossissent leurs voix en un simulacre de "grand chant", de "grandes voix" qu'ils n'ont pas. Le nombre de "donc" incorrectement prononcés "donk" fait aussi douter de la culture française des chefs de chant.
Deux chanteurs échappent à cette fâcheuse tendance : Jean-François Borras et son ténor franc et clair ; Konstantin Gorny et sa basse sonore sans grossissement.
Les autres "bâillent", soulèvent et durcissent le voile du palais, nasalisent en pensant gagner en timbre, en volume... Il n'en résulte hélas qu'une succession de sons ampoulés poussés les uns derrière les autres sans ligne constante, et les paroles sont des éclats de sons séparés par des blancs où le timbre malmené disparaît et rend la phrase incompréhensible.
C'est le cas d'Andrew Richards au début de la soirée, mais il gagne au troisième acte en ligne et en homogénéité. Ce grossissement est-il dû au choix d'un ténor pour un rôle que les notes de Gérard Condé annoncent barytonal? Béatrice Uria-Monzon a la dureté d'émission qu'on lui connaît, avec ici une absence de legato dommageable, hachant sa voix en éclats successifs, ce qui n'est pas la meilleure façon de traduire l'autorité d'une Grande Vestale. Ermonela Jaho, déjà entendue ici en Anna Bolena, tube et ampoule d'abord son émission, qui redevient plus naturelle dans les passages plus intimes. Sa jolie voix retrouve alors sa tendresse et sa concentration de ligne, qu'elle perd quand elle s'embarque dans des forte ululés à la fin de son air de l'acte I scène V. Sa voix semble également sous-dimensionnée dans son grand air de l'acte II scène II. Le duo suivant entre Julia et Licinius ne fonctionne pas, mais la scène qui suit est plus vivante et réussie.
En fait, les voix peinent dans tous les passages dramatiquement intenses, que seul l'orchestre peut soutenir, tandis que ces voix retrouvent leur suprématie et leur charme dans les scènes intimes et tendres. Dès que le Souverain Pontife chante, sa voix semble également avoir un rayonnement bénéfique sur ses collègues, qui concentrent mieux leurs émissions sans les forcer.
Au troisième acte, Ermonela Jaho chante davantage avec sa voix et non celle de Crespin ou de Callas. Son "Adieu mes tendres soeurs" préfigure la Didon de Berlioz et l'on imagine effectivement, dans le rôle de Julia, Anna Caterina Antonacci ou la regrettée Lorraine Hunt. Berliozien aussi le joli choeur des vestales du troisième acte, suivi d'un intéressant double choeur quand le peuple lui répond en soutenant l'option inverse : le trépas de Julia. Les choeurs sont la partie musicalement la plus intéressante de l'ouvrage, ou du moins la plus réussie ce soir par l'excellent choeur Aedes. "Feu créateur", au début de l'acte II, n'est pas encore berliozien mais beau et simple.
Deux fois au cours de l'oeuvre, c'est aussi une de ces grandes machineries rossiniennes qui semble s'amorcer, et presque un galop offenbachien dans l'étrange ballet final, que le metteur en scène transforme en poursuite échevelée à travers le plateau. Eric Lacascade est un nouveau venu à l'opéra, ce qui lui donne une certaine fraîcheur mais aussi la naïveté de retomber dans des clichés qu'il peut penser nouveaux. Il ne supporte pas l'immobilité. Metteur en scène du physique et du collectif, il demande donc au Souverain Pontife et au général Licinius d'en venir aux mains comme deux petites frappes, dont ils ont d'ailleurs le noir accoutrement. (Décors et costumes sont minimalistes et appellent peu de commentaires.) Cinna, quant à lui, doit se déplacer en petits mouvements chorégraphiés. De nombreux gestes sont ébauchés, brusques, saccadés, interrompus. Des bras se lèvent, s'affrontent et se figent. Peu de ces déplacements souvent rapides fonctionnent. Même si la musique dont ils contredisent le rythme est ennuyeuse, ils ne peuvent pas l'animer.
Le troisième acte étant enfin engagé et synchrone, il est fort possible que les dernières représentations soient excellentes de bout en bout !
À voir jusqu'au 28 octobre au Théâtre des Champs-Élysées. à voir le 23 octobre à 19h30 en streaming sur différents sites dont celui du Théâtre.
Alain Zürcher