Felicity Lott R
Théâtre du Palais-Royal • Paris • 16/12/2013
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Les nouveaux Lundis musicaux programmés par Christophe Combarieu au théâtre du Palais-Royal veulent ressusciter ceux de Pierre Bergé à l'Athénée. Ils ont d'ailleurs été inaugurés la semaine passée par un fidèle de ces derniers, José Van Dam. Des chanteurs souvent bien avancés dans leur carrière alterneront avec des pianistes. On pourra ainsi entendre cette saison Dmitri Hvorostovsky, Max-Emmanuel Cencic, Waltraud Meier, Elina Garanca (annoncée comme pianiste, mais on espère que c'est une erreur !), Sumi Jo et la plus jeune Anna Prohaska.
Pour accueillir ce programme, l'écrin du théâtre du Palais-Royal est certes très beau, mais son acoustique très peu réverbérante étouffe malheureusement bien des harmoniques. Elle ne fait en tout cas pas de cadeau aux chanteurs, dont le moindre défaut technique s'entend. Philippe Jaroussky en avait d'ailleurs été victime en 2002, lors d'un de ses premiers récitals parisiens.
Tournée d'adieux ou pas? Utilisé sans vergogne par les Lundis Musicaux, cet efficace thème promotionnel est démenti par Felicity Lott ! Avec Maciej Pikulski, elle nous propose un florilège de pièces allemandes et françaises, les premières plus sérieuses et sentimentales, les secondes plus légères, voire comiques. C'est bien là le génie propre de chaque peuple, si on n'a droit qu'à une seule réponse.
Ce récital fait réfléchir à deux réalités qui se superposent : d'une part, dès lors que l'on a "percé et été connu et apprécié à un moment de sa carrière, on peut continuer à chanter sur scène et remplir passablement des salles jusqu'à la fin de ses jours, alors même qu'aucun producteur ne programmerait un chanteur non connu qui présenterait les mêmes qualités et défauts ; d'autre part, quel que soit le montant dépensé par un jeune chanteur en cours et masterclasses et quel que soit le temps passé à enseigner par un chanteur émérite, certaines qualités ne se perpétuent pas entre générations. Chaque génération a ses qualités et ses défauts, qu'elle développe dans un environnement global, où l'enseignement reçu tient une place relativement restreinte. Certaines qualités disparaîtront avec Felicity Lott comme avec Edita Gruberova, soit qu'elles ne soient plus à la mode, soit que tout simplement, aucun chanteur nouveau n'arrive à les intégrer à son être propre, dans son propre système de références. Tout au plus pourrait-il ponctuellement les reproduire, mais quel sens, quel intérêt et quel avenir aurait cette reproduction? Aucun.
Le charme de Felicity Lott opère donc toujours, nourri par sa personnalité, son humour si particulier et si universel à la fois, cette manière certainement britannique de s'engager et de se tenir à la distance à la fois, de connaître sa valeur et de ne pas se prendre au sérieux. Elle joue et touche avec toute la rouerie dont une femme est capable. Son style en découle, son phrasé suit. Ses moyens physiques et vocaux ont certes décliné, mais sa maîtrise technique lui permet de naviguer au plus près, de contourner avec art chaque écueil. La pointe d'accent anglais fait partie de son charme, l'égalité des voyelles, parfois très malmenée, reste suffisante pour communiquer une ligne, donc une présence, une pensée. Si les "i" et les "a" restent souvent bien placés, les voyelles intermédiaires "é" et "è" sont souvent en retrait, avalées par les lèvres. Une tendance à la surarticulation compromet aussi souvent la ligne vocale, mais fait partie de son style.
Parmi les pièces interprétées, "So lasst mich scheinen" de Goethe et Wolf touche particulièrement. Son émotion est portée par une émission fine et haute bien concentrée. Parmi les trois Lieder de Strauss, "Ruhe, meine Seele" est réussi, tandis que Das Rosenband et Zueignung manquent d'homogénéité. Parmi les pièces françaises, Clair de lune de Fauré est beau et égal de ligne, la Chanson d'avril de Bizet est prise un peu lentement, et Guitare manque de punch. Le facile tube "Ça fait peur aux oiseaux" de Paul Bernard (1827-1879) fait mouche, servi par la fine interprétation de Felicity Lott mais aussi de Maciej Pikulski. La fin du programme glisse vers la chanson et l'opérette, avec un "Je chante la nuit" de Maurice Yvain (1891-1965) qui pourrait être signé Kurt Weill, et de plaisantes pièces de Reynaldo Hahn tirées de ses opérettes (Ciboulette, Ô mon bel inconnu, Une revue). Opérette encore en bis, avec Yes de Maurice Yvain, la Griserie de La Périchole, "J'ai deux amants" de L'Amour Masqué de Messager et enfin Les chemins de l'amour de Poulenc. Le souvenir d'Yvonne Printemps plane décidément sur ce programme français !
Alain Zürcher