Matthias Goerne R
Théâtre des Champs-Élysées • Paris • 15/01/2014
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L'inusable Matthias Goerne revient au TCE avec un programme encore plus sombre que d'habitude, entrelaçant des extraits de la suite op.145 de Chostakovitch sur des poèmes de Michel-Ange et des extraits de plusieurs cycles de Mahler : Rückert Lieder, Des Knaben Wunderhorn, Kindertotenlieder.
Le programme de salle annonce que Matthias Goerne présente cette saison six programmes de récitals différents et les trois cycles de Schubert ! Est-ce pour cela qu'il jouit d'un quasi monopole à Paris, où il est presque impossible d'entendre un autre baryton, et où par exemple Christian Gerhaher ne s'est produit qu'une fois dans le petit auditorium du musée d'Orsay?
Vocalement en forme, Matthias Goerne a acquis une ampleur de chanteur d'opéra tout en alignant sans effort des piani de chambriste. Il lance franchement sa voix au début de chacune des deux parties de la soirée, mais son émission se matifie et s'assourdit ensuite, comme noyée dans sa propre résonance, au détriment de la clarté des paroles. On regrette également que le programme de salle ne comporte pas les textes des oeuvres, d'autant que Chostakovitch est chanté en russe.
Musicalement, il est difficile d'imaginer plus opposé que Matthias Goerne et Leif Ove Andsnes. Les longues phrases assombries du premier contrastent avec la clarté détachée, quasi sans pédale, du second. Sous ses doigts, Mahler sonne comme des litanies enfantines, des comptines désarticulées au bord de l'anéantissement, redéchiffrées par des extra-terrestres après une catastrophe nucléaire. Soit l'opposé exact d'une interprétation nourrie par les versions orchestrales de ces Lieder. Là-dessus, Matthias Goerne place un phrasé et des respirations parfois étonnants, notamment dans les Kindertotenlieder, que l'on redécouvre sans plus rien y comprendre. Ses reprises de souffle bruyantes et exagérées se justifient rarement, mais l'obligent à dépenser ensuite ces grandes masses d'air en les appuyant sur ses cordes vocales, ce qui peut expliquer cette tendance à voiler et sombrer son émission.
Le programme est musicalement intéressant et fait entendre des correspondances nombreuses, par-delà deux guerres mondiales. Particulièrement frappants sont les réminiscences mahleriennes de la pièce n°9 de la suite sur Michel-Ange, qui semble nous susurrer des "Nun seh'ich wohl" et des "Wenn dein Mütterlein" avant que Leif Ove Andsnes fasse résonner "Ich bin der Welt abhanden gekommen" !
Alain Zürcher