La clemenza di Tito
Théâtre des Champs-Élysées • Paris • 18/12/2014
Choeur Aedes (Mathieu Romano)
Le Cercle de l'Harmonie Jérémie Rhorer (dm) Denis Podalydès (ms) Cécile Bon (chg) Éric Ruf (d) Christian Lacroix (c) Stéphanie Daniel (l) |
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Sociétaire de la Comédie-Française, Denis Podalydès nous offre en lever de rideau une tirade de Bérénice de Racine. Le théâtre restera intensément présent tout au long de la soirée, avec un rééquilibrage très intéressant des personnages : alors que nous avons souvent en Vitellia une noble dame bafouée et en Titus un dirigeant faiblard jusqu'au ridicule, on nous offre ce soir une Vitellia ouvertement odieuse et un Titus noble et convaincant. Quel meilleur moyen de revaloriser l'oeuvre de Mozart?
Le décor est également très présent, et pourtant, une cage de scène nue aurait produit le même effet ! Ici grand hôtel lambrissé, ailleurs palais de marbre, murs lépreux ou carrière, tous remplissent la fonction du mur de scène d'un théâtre antique. Maîtres d'hôtel, grooms et femmes de chambre y courent en tout sens mais ne font que tapisserie, sans interagir avec l'action du premier plan. Certes, ils jouent l'incendie du Capitole, mais en avons-nous besoin? Nous lisons aussi que les costumes sont de Christian Lacroix, mais l'aurions-nous deviné? Sans doute tombent-ils mieux, et comme le décor ils doivent ajouter une strate subtile au spectacle, mais sans ostentation. Un bon fond bourgeois en somme, un luxe discret pour une mise en scène classique et efficace.
Dans la fosse, le Cercle de l'Harmonie a gagné en justesse, en ensemble, en qualité instrumentale. Ses couleurs mozartiennes sont désormais très convaincantes, dès l'ouverture superbement phrasée. Jérémie Rhorer impose des tempi très lents que les instruments anciens, les voix et la mise en scène arrivent à tenir et nourrir, à l'exception de certains passages qui perdent en crédibilité, comme le choeur "Ah, grazie si rendano". L'ensemble vocal Aedes est excellent. Il est d'abord placé de manière statique de part et d'autre de la scène, à l'antique !
Sur scène, les voix sonnent d'abord un peu poussées dans le nez (Sesto, Annio), et Kurt Streit ouvre un peu trop ses aigus dans son air "Del più sublime soglio", mais reste un des meilleurs titulaires de ce rôle ingrat. Au début de son rôle de Sesto, Kate Lindsey adopte une couleur vocale d'un bronze un peu artificiel, qui noie les paroles. Elle pourrait poitriner davantage ses graves, qui sonnent trop soufflés et creux quand ils restent en "tête". Karina Gauvin chante avec l'affectation qui convient à son personnage d'insupportable diva.
Au deuxième acte, Julie Boulianne chante un beau "Tu fosti tradito", et Kate Lindsey trouve une belle pureté vocale dans la nuance piano d'un "Deh per questo istante solo" très étiré. Il s'agit cependant davantage de beau chant que d'expressivité dramatique.
Chanté par Julie Fuchs, le petit air de Servilia "S'altro che lacrime" prend une profondeur inaccoutumée. Elle y renforce presque trop la connexion grave de son médium.
Denis Podalydès joue intelligemment sur les silences dans les récits de Tito. Il met un point d'honneur à le rendre crédible, non pas vélléitaire mais affirmant sincèrement son caractère, assumant courageusemet le choix de la bonté. Ne dit-il pas "Si, Dieux amis, un coeur sévère est nécessaire à l'empire, retirez-moi l'empire ou bien donnez-moi un autre coeur"? Étrangeté de la mise en scène, la confession finale de Vitellia laisse tout le monde de marbre, sauf Tito. Les autres sont-ils définitivement consternés par son personnage, que rien ne peut plus racheter?
À écouter le 27 décembre à 19h30 sur France Musique. à voir sur Arte Concert.
Alain Zürcher