Quatre chants pour franchir le seuil C
Théâtre de l'Athénée • Paris • 27/03/2015
Maxime Pascal (dm)
Augustin Muller (réalisation informatique musicale) Florent Derex (projection sonore) |
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Les Quatre chants pour franchir le seuil tiennent une place très particulière dans le répertoire contemporain, et encore plus parmi ceux qui appréciaient et suivaient Gérard Grisey, un des principaux représentants de la musique spectrale. C'est en effet la dernière pièce terminée par Gérard Grisey avant sa mort en 1998 alors qu'il n'avait que 52 ans. Créée l'année suivante de manière posthume, cette oeuvre serait sans cela déjà chargée d'émotion.
Gérard Grisey écrivait : « J'ai conçu les Quatre Chants pour franchir le Seuil comme une méditation musicale sur la mort en quatre volets : la mort de l'ange, la mort de la civilisation, la mort de la voix et la mort de l'humanité. (...) Les textes choisis appartiennent à quatre civilisations (chrétienne, égyptienne, grecque, mésopotamienne) et ont en commun un discours fragmentaire sur l'inéluctable de la mort. »
Après les phrases pertétuellement descendantes du premier chant, on se laisse particulièrement envoûter par deux passages, le premier étant la litanie des numéros de sarcophages du deuxième chant, « catalogue archéologique des fragments hiéroglyphiques retrouvés sur les parois des sarcophages ou sur les bandelettes des momies ». Ces numéros neutres sont parfois suivis de commentaires comme "détruit", "presque entièrement détruit". Julie Fuchs réussit à colorer ces mots d'une manière à la fois charnue et détachée, du bout des lèvres. L'autre moment fascinant est la course haletante des baguettes sur les percussions, peut-être rythme de pluie préludant au déluge, mais aussi angoissant battement du coeur. Partant de la cellule rythmique la plus simple et des instruments les plus primitifs, Gérard Grisey construit tout autre chose qu'un exercice intellectuel de décalage et de superposition de rythmes, comme il s'en est écrit des dizaines depuis un demi-siècle. La forte impression produite révèle la nature même de la création artistique, incarnation de la pensée d'une personne, présente dans son oeuvre avec sa personnalité et sa pensée, et pouvant être comme réincarnée lors de son exécution, quand l'interprétation a le caractère "médiumnique" atteint ce soir par Maxime Pascal et le Balcon.
Le déluge se déchaîne, la voix n'est alors plus qu'exclamations ("déluge, ouragan !") puis se fige sur les mots : "Tous les hommes étaient retransformés en argile". Gérard Grisey, qui a peu écrit pour la voix, aura offert à Julie Fuchs toute une palette expressive, de la parole au lyrisme.
En première partie, nous avons pu découvrir, chantée par Léa Trommenschlager, une création de Pedro Garcia-Velasquez, cofondateur du Balcon. Intéressé par la spatialisation du son, il mêle des ambiances sonores enregistrées à des textes en français, anglais ou italien issus de différents univers musicaux du passé. Ces paroles, si tant est qu'elles soient intéressantes, ne sont malheureusement pas suffisamment compréhensibles. La sonorisation par Florent Derex est trop massive, avec un niveau sonore excessif, très différent de la lisibilité des Quatre chants, où une amplitude dynamique plus grande permet à l'oeuvre de respirer.
À voir jusqu'au 28 mars au Théâtre de l'Athénée.
Alain Zürcher