La Métamorphose
Théâtre de l'Athénée • Paris • 12/06/2015
Maxime Pascal (dm)
Nieto (ms) John Carroll (sc) Pascale Lavandier (c) Florent Derex (projection sonore) Arthur Cemin (l) |
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Créé en 2011 par l'Opéra de Lille qui l'avait commandée, La Métamorphose est recréée ce soir, précédée de "Je, tu, il" sur un texte un peu potache de Valère Novarina qui évoque cette même Métamorphose de Kafka.
Spectateur de cette nouvelle création du Balcon, on est partagé entre deux extrêmes : d'un côté l'admiration pour la qualité de la réalisation scénique, du "spectacle total" qui nous est offert ; de l'autre la frustration de se sentir rester extérieur à ce spectacle, du fait même de la principale option de sa réalisation : la sonorisation.
Deux défauts majeurs découlent de cette sonorisation : la qualité du son et la localisation spatiale de chaque émetteur.
La qualité pourrait sans doute être améliorée en utilisant les meilleurs matériels d'un bout à l'autre de la chaîne. La limite de qualité est de toute façon le son non amplifié, qui lui ne coûte rien à diffuser, hormis une salle à la bonne acoustique, ce qu'est déjà l'Athénée. Une comédie musicale amplifiée au théâtre du Châtelet est par exemple très audible, sans protections auditives et avec la possibilité d'un plaisir musical. La même comédie musicale avec les moyens réduits d'une production commerciale et un ingénieur du son venant de la variété est insupportable pour des oreilles habituées à la musique classique.
Globalement, en l'absence d'un matériel surdimensionné et coûteux, le son amplifié sera toujours écrasé, sans les harmoniques du son naturel, sans sa respiration, son côté "aéré", sa pureté. Le son amplifié est infiniment plus fatigant, même quand il n'est pas diffusé à un niveau douloureux pour les tympans.
Pour ce qui est de la localisation spatiale des sources sonores amplifiées, si les brillants jeunes ingénieurs et musiciens du Balcon trouvaient enfin une solution technique à ce problème, le monde du spectacle commercial leur ferait peut-être un pont d'or ! Peut-être faudrait-il commencer par écouter le spectacle d'un côté de la salle au lieu de la position centrale toujours dévolue à la régie son. L'ingénieur du son souffrirait peut-être alors lui-même de devoir, pour savoir qui est en train de chanter, parcourir les visages des chanteurs jusqu'à ce qu'il détecte un mouvement de lèvres. Le nivellement qualitatif du son amplifié et ses possibilités de déformation rendent en effet très difficile d'identifier le timbre d'un chanteur amplifié par la seule écoute, et la diffusion par des haut-parleurs déplace la source sonore ailleurs que là où le chanteur se trouve.
Ce problème de localisation était moins gênant ce soir que pour d'autres oeuvres avec davantage de chanteurs présents sur scène, mais il demeurait un problème d'identification dans un sens moins physique et plus intime : on est moins touché par la voix d'un chanteur que l'on ne reçoit pas directement, depuis sa source jusqu'à nos oreilles, grâce au rayonnement naturel de sa voix dans la salle. Le simple fait que le son transite par un circuit numérique et nous arrive d'ailleurs que de la personne qui s'exprime réduit considérablement son impact en tant que communication humaine, et donc ses possibilités de susciter une émotion. Pour caricaturer, on a l'impression d'entendre un enregistrement avec nos oreilles, et simultanément de voir un beau spectacle de mime avec nos yeux, mais le raccord entre les deux ne se fait pas parfaitement. Le spectateur reste extérieur et comme tenu à distance de la réalité de chair des interprètes. à moins que la nouvelle génération ait développé des capacités nouvelles de réceptivité, un peu comme elle a développé ses pouces pour taper les SMS?
On assiste donc à des performances apparemment remarquables de jeunes chanteurs, qui ne nous parviennent hélas qu'à travers un filtre grossier. On rêve d'entendre leurs voix naturelles, on aspire à plus de détente, de respiration, de silence, d'air, de vide entre les sons, entre les mots.
On est aussi un peu déçu par l'adaptation de la nouvelle de Kafka. Les nombreuses répétitions de phrases n'apportent rien dramatiquement, ne faisant que broder gratuitement autour de quelques situations immobiles. Prolongeant cette approche statique, la direction d'acteurs vise plus à l'effet visuel qu'à la pertinence ou à la justesse dramatique. On a l'impression d'assister à une répétition pour les lumières, qui attend encore sa vraie incarnation. Et pourtant, quelle magnifique prestation que celle de Rodrigo Ferreira en gymnaste autant qu'en chanteur ! Est-ce donc le parti-pris de la mise en scène, de lui réserver l'humanité et la vie, alors qu'il est devenu insecte, et de la refuser aux autres protagonistes, parce qu'ils se comportent sans humanité vis-à-vis de lui? Mais comment alors montrer et démonter les mécanismes bien humains qui sous-tendent le rejet de Gregor? C'est comme si l'on filmait la seconde guerre mondiale avec des robots à la place des nazis, la leçon morale en perdrait de sa portée !
Dans la réalisation, on admire la continuité réalisée entre Gregor réel se déplaçant et Gregor en projection vidéo au mur ou au plafond. La scène où il abandonne sa carapace est saisissante.
À voir jusqu'au 17 juin au Théâtre de l'Athénée, puis en tournée à Strasbourg et Colombes.
Alain Zürcher