Mitridate
Théâtre des Champs-Élysées • Paris • 16/02/2016
Emmanuelle Haïm (dm)
Clément Hervieu-Léger (ms) Eric Ruf (d) Caroline de Vivaise (c) Bertrand Couderc (l) |
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Mitridate n'a longtemps été connu que pour ses beaux airs figurant dans les anthologies pour alto, avant que Christophe Rousset ne le dirige au Châtelet en 2000, mis en scène par Jean-Pierre Vincent. Si l'oeuvre avait alors séduit, c'est un plateau vocal et une mise en scène plus convaincants qui nous sont offerts ce soir.
Commandé à Milan à un Mozart de quatorze ans, Mitridate est une oeuvre d'une maturité stupéfiante. Mozart y maîtrise parfaitement les codes de l'opera seria mais aussi la prosodie italienne et les passions des personnages. On est frappé par la justesse des parcours de chacun, soulignée encore par la belle direction d'acteurs de Clément Hervieu-Léger.
La différenciation physique et vocale des rôles est une grande réussite de ce soir, loin d'être évidente quand l'oeuvre demandait à l'origine trois castrats, deux sopranos et deux ténors. L'écriture vocale, adaptée aux créateurs des rôles, est périlleuse, sollicitant des changements de registre et une variété de couleurs que l'opéra n'a plus demandé au siècle suivant, ni Mozart non plus dans ses opéras. Il semblerait même que ses opere serie aient réclamé de moins en moins de virtuosité vocale.
La distribution de cette production est miraculeusement idéale. Michael Spyres a les moyens techniques du rôle titre, dont il assure les graves comme les aigus, avec une excellente gestion des passages et de la voix mixte, même s'il fatigue dans ses deux derniers airs de fureur, plus lourds dans le médium que ses premiers airs de la soirée. Patricia Petibon allie la légèreté et la précision des vocalises avec des teintes chaudes et sensibles dans le médium, sachant aussi infléchir très finement la justesse au service de l'expression. Quand on croit avoir entendu toutes les facettes de son rôle, Mozart lui réserve encore un "Pallid' ombre" saisissant par son étrangeté, aux accents rappelant plus Gluck que de Piccinni, comme d'ailleurs l'air suivant de Sifare.
Myrto Papatanasiu sonne d'abord beaucoup moins claire de diction et moins homogène de timbre, mais elle assure ensuite parfaitement son rôle jusqu'à une légère fatigue finale. Christophe Dumaux est un Farnace sombre à la présence forte de bout en bout, jusqu'à son bel air de repentir (enfin !). Sabine Devieilhe est une tendre Ismene aux aigus d'une finesse éthérée. Cyrille Dubois et Jaël Azzaretti n'ont qu'un air, mais dont ils dominent eux aussi les exigences.
Sous la direction d'Emmanuelle Haïm, le Concert d'Astrée est remarquable en tous points : ensemble, phrasé, dynamisme, couleurs... Le décor d'Éric Ruf campe un théâtre, intelligemment montré en angle, de trois-quarts depuis la salle, ce qui ménage des espaces de jeu correspondant à la salle, à la scène et aux balcons. Le lieu a vécu et la lumière y est chiche. Les comédiens y ont dormi, se réveillent, enfilent diverses fripes, un vers de Racine amorce la pompe puis l'opéra prend le relais. Les personnages d'occasion s'incarnent peu à peu et on se prend à entrer dans l'oeuvre comme si elle était jouée de manière réaliste, alors que rien dans le décor ni les costumes ne traduit les didascalies du livret. Mais le jeu, les interactions entre personnages et les tensions crées par leur occupation de l'espace sont intensément théâtraux, et cela suffit à éveiller l'illusion. L'investissement sur ce spectacle destiné à être filmé et à poursuivre sa carrière à l'Opéra de Dijon dès la fin du mois n'aura pas été vain.
À voir jusqu'au 20 février au Théâtre des Champs-Élysées. à écouter le 20 février en direct sur France Musique. à voir sur le site du Théâtre des Champs-Élysées, Arte Concert et Mezzo Live HD le 20 février.
Alain Zürcher