La Petite Renarde Rusée
Théâtre de l'Athénée • Paris • 15/03/2017
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L'Athénée accueille à nouveau une belle production de l'ARCAL, remarquable structure de création et de diffusion d'opéras de chambre fondée par Christian Gangneron et dirigée depuis 2009 par Catherine Kollen, venue de Royaumont.
Dans l'air du temps, la mise en scène de Louise Moaty joue sur la vidéo, filmant en temps réel des peintures et les chanteurs pour les projeter sur un écran. Si l'on veut être moderne, on parlera de "réalité augmentée", les chanteurs étant incrustés dans les décors, mais il s'agit d'un modernisme rétro : il renoue en effet avec la composition des décors en plusieurs plans du temps des toiles peintes, et ces toiles nous immergent dans la pâte épaisse de peintures. Toutes ces manipulations sont montrées sur scène, ainsi qu'aux premiers temps de chaque nouveauté on veut en souligner la prouesse technique. L'animation des insectes filmés au bout de tiges est particulièrement amusante, comme celle de la grenouille, et charmante la première apparition de la renarde dans le style des vieux nounours articulés.
Les effets optiques rappellent aussi les temps glorieux du cinéma muet, avec des gros plans au grand angle sur les visages et des perspectives fuyantes exagérées, jusqu'au maquillage, aux sourcils et à la barbe du garde-chasse ou au vagabond lourdement grimé, qui nous rappellent les acteurs du muet.
C'est aussi tout simplement la réalisation en temps réel d'un film d'animation mêlant dessin et personnages filmés. La Petite Renarde n'a-t-elle pas commencé sa carrière sous forme de feuilleton illustré dans un journal ? On pense aussi à la remarquable culture tchèque en matière de dessin animé. Esthétiquement, le spectacle nous plonge dans des tableaux de Chagall évoquant Viterbsk, ou dans la scène de la taverne dans un tableau de buveurs d'absinthe.
Le seul défaut de ces séduisantes mises en scène incluant des projections est que le regard se concentre rarement mais papillonne entre l'écran, les chanteurs, les vidéastes et leurs bricolages poético-techniques. L'émotion passe pourtant, le fil de l'histoire n'est pas rompu par ces multiples allers-retours, et l'amour de la nature de Janacek, qui imprègne si fortement cette oeuvre, n'est pas tué par la technique. Le contraste entre les hommes et les animaux est bien rendu : renards et renardeaux sont bien plus modernes et libres que les hommes englués dans ces vieilles toiles rustiques comme dans leur contexte social.
La version réduite pour seize musiciens par Jonathan Dove déçoit lors de l'ouverture, tant les douces couleurs chatoyantes de l'orchestration de Janacek participent au climat de l'oeuvre. Mais dès que l'on entre dans l'histoire, on s'y habitue. Les musiciens de TM+ intègrent aussi progressivement la subtilité rythmique du compositeur.
Deux générations de chanteurs sont réunies sur scène. Ils forment une troupe remarquable dont il serait vain d'extraire un talent particulier, chacun tenant son rôle dans un ensemble cohérent, à un très haut niveau vocal et artistique.
À voir jusqu'au 19 mars au Théâtre de l'Athénée puis encore à Argenteuil le 26 mars, concluant une tournée amorcée en 2016.
Alain Zürcher