Alcione
Opéra Comique • Paris • 28/04/2017
Choeur et Orchestre Le Concert des Nations
Chef de choeur Lluis Vilamajo Jordi Savall (dm) Louise Moaty (ms) Raphaëlle Boitel (chg) Tristan Baudoin, Louise Moaty (sc) Alain Blanchot (c) Arnaud Lavisse (l) |
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La salle Favart rouvre après presque deux années de travaux. Le résultat est très respectueux : dorures, peintures et tissus sont rafraîchis, les spectateurs aussi grâce à la nouvelle ventilation. L'oeuvre choisie pour la réouverture fait le lien avec les nombreuses recréations baroques accueillies par l'Opéra Comique. Sa mise en scène fait aussi souffler un vent très rafraîchissant sur la scène lyrique contemporaine.
Côté classique, on retrouve dans la fosse Jordi Savall et un Concert des Nations rajeuni, pour une forme de consécration de Marin Marais, le compositeur qui avait révélé Jordi Savall au grand public en 1991, dans le film Tous les matins du monde. Côté création, une troupe de chanteurs souvent jeunes et surtout une très jeune et enthousiasmante troupe d'acrobates circassiens, c'est à dire venus des arts du cirque. C'est une des signatures de Louise Moaty, complice de Benjamin Lazar dont l'on suit depuis longtemps les créations au théâtre de l'Athénée. Leur jeunesse et leur énergie permettent de renouveler les codes de la chorégraphie. Les chanteurs ont en outre été très bien intégrés, selon les talents de chacun, à cette chorégraphie, par exemple dans la scène des démons. Toute la mise en scène est d'ailleurs chorégraphie, renouant en cela avec l'esprit de la scène baroque. Mais grâce aux jeunes circassiens, c'est une chorégraphie physique et sensuelle, voire animale, et paradoxalement terrienne si l'on considère leur capacité à grimper et virevolter dans les airs. Les corps sont ancrés au sol, où ils puisent l'énergie de leurs incessants rebonds.
La scène infernale est un passage obligé, moult fois représenté depuis la redécouverte du répertoire baroque, mais jamais de manière aussi charnelle et comme magmatique, évoquant les "larves" de l'Alceste de Gluck. Les interprètes se mêlent en des ensembles non seulement vocaux mais corporels. La vivacité instinctive le dispute à la suave pose. La lumière les sculpte et les enveloppe, dans des scènes très contrastées, alternativement plus noires et plus lumineuses que jamais. Les costumes sont modernes et colorés, qui prennent bien aussi la lumière. Le décor est planté autour de quelques amoncellements, de mats dressés et de cordes tendues, puis de voiles blanches. La logique de chaque scène, de chaque atmosphère est totale, en osmose avec le drame, avec la musique. Les démons sont plus noirs et plus méchants que jamais, l'héroïne est blanche et lumineuse comme personne.
Louise Moaty nous offre de belles images simples comme ces époux traversant des cordes tendues et vus au travers de leurs ondulations, avant que ces cordes n'enserrent Alcione en leur centre. Plus loin, c'est encore une corde, tressée à trois brins autour des époux. Par des cordes aussi, les démons descendent des cintres. Au deuxième acte, c'est une effrayante femme araignée prise dans sa toile, qui fait descendre sa gueule jusqu'au visage de Phorbas. Rarement une scène infernale aura été aussi effrayante et répugnante. Au quatrième acte, une jolie gambiste joue sur scène, secondée par un danseur avec qui elle forme un beau tableau. La tempête marine est enfin très esthétiquement rendue par la vision, à travers les voiles blanches du premier plan, de marins grimpant et voltigeant désespérément dans les gréements. Au dernier acte, la mer est astucieusement figurée par des vagues animées grâce à des cordes.
Le plateau vocal est nettement divisé en trois groupes : les trois rôles principaux sont tenus par les piliers exemplaires de la nouvelle génération, les rôles de méchants par des barytons-basses au timbre un peu nasal de "vilains", et enfin de petits rôles sont tenus par des voix légères parfois issues du choeur.
Marc Mauillon règne en maître comme à son habitude, avec une voix qui se corse peu à peu, sans perdre sa remarquable clarté de diction et son phrasé toujours juste. Les airs les plus beaux semblent du coup lui avoir été réservés par Marais, et l'on s'étonne presque que la tragédie ne s'intitule pas Pelée. Son alter ego Cyril Auvity est un peu prudent ce soir, esquivant certaines notes, par peur de les craquer ? Son émission n'en reste pas moins directe et franche comme à son habitude. Dans le rôle-titre, on découvre la jeune mezzo-soprano Lea Desandre, consacrée révélation lyrique de l'année aux dernières Victoires de la musique classique. Elle émerge d'abord à peine de ses jeunes comparses, mais s'affirme ensuite avec plénitude et autorité quand son rôle devient plus dramatique. Il est vrai que Marais ne la fait presque pas chanter avant l'entracte ! Son dramatique duo avec Pelée est superbe.
En méchant, Lisandro Abadie est efficace quoiqu'un peu monochrome et limité dans les graves. Antonio Abete est plus exotique et approximatif. Sebastian Monti est un excellent jeune ténor, dans la lignée de son comparse Cyril Auvity. Hanna Bayodi charme et Hasnaa Bennani tient correctement un rôle de méchante dans lequel on pourrait donner davantage. Elle accorde bien son soprano acidulé avec le timbre grinçant de Lisandro Abadie dans le duo des deux sorciers.
À voir jusqu'au 7 mai à l'Opéra Comique. à voir sur Culture Box et Mezzo Live HD le 6 mai. à écouter enfin sur France Musique le 21 mai !
Alain Zürcher