Le Timbre d'Argent
Opéra Comique • Paris • 09/06/2017
Choeur Accentus
Orchestre Les Siècles François-Xavier Roth (dm) Guillaume Vincent (ms) Herman Diephuis (chg) Baptiste Klein, (v) James Brandily, (d) Fanny Brouste (c) Kelig Le Bars (l) |
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Dans le cadre du 5ème Festival Palazzetto Bru Zane à Paris, l'Opéra Comique nous offre la recréation du premier opéra de Camille Saint-Saëns, créé peu avant son fameux Samson et Dalila mais écrit dès 1865.
Saint-Saëns est l'auteur de treize opéras dont on ne donne plus qu'un seul, les autres n'étant connus que par quelques airs et les vieilles partitions chant-piano des bibliothèques, tels La Princesse jaune, Henry VIII et son fameux "Qui donc commande quand il aime?" ou Déjanire. Il est vrai que même Samson et Dalila séduit surtout par les airs de son rôle titre féminin et par la force des deux caractères opposés sur scène. Connu pour avoir supervisé l'édition Durand des oeuvres de Rameau, entreprise en 1895 pour concurrencer l'édition Michaëlis, Saint-Saëns était un esprit curieux et éclectique. Il n'est pas étonnant que cet éclectisme se manifeste particulièrement dans une oeuvre de jeunesse comme Le Timbre d'Argent.
Sur un fond certes guilleret mais insipide et vite très pesant de musette campagnarde, Saint-Saëns greffe des épisodes fantastiques à grands effets musicaux et scéniques, mais aussi une vraie chanson, celle de Cameleone, n-ième incarnation du diabolique Spiridion. Rappelant la chanson du Brésilien de La Vie Parisienne d'Offenbach, composée à la même époque, elle détonne ici bien davantage et offre une bouffée de fraîcheur bienvenue.
Point fort de Saint-Saëns aussi apprécié dans Samson et Dalila, on est aussi régulièrement surpris et séduit par une couleur orchestrale originale, l'utilisation des cors ou des percussions, jusqu'à un harmonium ou un accordéon qui se glisse dans l'orchestre ou soutient le choeur hors de la fosse. L'Orchestre des Siècles est naturellement remarquable dans le rendu de ces sonorités instrumentales conçues dans la lignée d'un Berlioz ou inspirées de romantiques allemands comme Marschner ou Weber.
La plupart des airs restent cependant de plates romances villageoises ou de salon, évoquant la veine mélodique de Gounod ("Demande à l'oiseau", "Le bonheur est chose légère"), dont on retrouve aussi la foi naïve à la Mireille - "Ô vierge mère"... L'air de Conrad "Je te maudis" ressemble davantage à un Verdi de convention. Le duo de l'acte III scène 6 entre les deux villageois, "L'humble papillon de nuit", en rajoute encore dans la romance populaire. Suit une efficace danse bohémienne avec choeur et une musette arabisante censée, d'après le livret, être émise par une cornemuse ! On en vient à se demander si toute l'oeuvre n'était pas pour Saint-Saëns une pochade, visant à tourner en ridicule les lieux communs de son époque en en jouant trop complaisamment ! Ou bien voulait-il railler les pastorales du passé et les oeuvres de l'étranger ? - niaiserie villageoise de la Sonnambula de Bellini, héros romantiques et pactes faustiens germaniques... Mais qu'apportait-il de neuf ? Étonnamment, il était suffisamment attaché à cette oeuvre déjà datée à sa création pour la réviser encore en 1914.
Partant sans doute de la danse, de la magie et de la chanson présentes dans le livret, la mise en scène développe un univers de music-hall, dans un décor affreux en harmonie avec les costumes, qui nous replonge dans les noirs et rouges vulgaires des nuits des années 80, les mises en scène d'Olivier Desbordes et les théâtres d'opérette de province. Cela rend certes bien compte du caractère déplaisant et malsain du personnage de Conrad et de ses malfaisants tentateurs. à l'acte III, le lieu commun de la fête villageoise est transposé dans cet autre lieu commun de la boîte de nuit avec ses boules à facettes projetant dans la salle leurs éclats de lumière.
Des projections de ciels et de feuillages transportent au besoin la scène à la campagne, sans en traduire vraiment la candeur bucolique. Des deux côtés du décor, deux ouvertures peuvent être ouvertes à volonté. Pour les réaliser techniquement, James Brandily n'a pas hésité à recourir à des volets roulants en plastique, dont la perfection fonctionnelle n'a d'égale que l'horreur esthétique.
À l'acte IV, la danse de carnaval avec choeur est saisissante. Au nombre des réussites de la soirée, il faut aussi ajouter la spatialisation de l'excellent choeur Accentus, qui chante souvent à l'extérieur de la salle et finalement parmi les spectateurs.
Vocalement, le plateau est magistralement dominé par Tassis Christoyannis, qui a considérablement gagné à la fois en souplesse et solidité - et donc aussi en santé - vocales. Dominant aussi la scène, il s'amuse et nous amuse avec tous les avatars de son personnage. à ses côtés, son double féminin n'est pas une chanteuse mais une danseuse, originalité de l'oeuvre ! Cela nous vaudra à la fin un curieux duo mimé pour ténor et danseuse. La danseuse moderne Raphaëlle Delaunay se glisse à merveille dans les différents styles qui lui sont demandés, là aussi sans aucun charme ni sensualité, rien d'une ballerine vaporeuse mais la violence et la rudesse d'une danseuse de flamenco.
Le gentil couple populaire est très joliment incarné par Jodie Devos, passée par la troupe de l'Opéra Comique, et Yu Shao, membre de l'Académie de l'Opéra de Paris. Ce dernier a complété sa formation en France, où il a pu perfectionner son excellente diction. Il se révèle par ailleurs très bon violoniste quand il rejoue au deuxième acte l'air chanté par Hélène ! Les émissions du jeune couple sont claires, franches et naturelles, ce qui n'est pas le cas du couple plus corsé que doivent constituer Edgaras Montvidas et Hélène Guilmette. L'émission de cette dernière est ampoulée, avec un appui à la fois pharyngé et nasal, censé sans doute lui apporter conjointement de la profondeur dans le grave et du brillant dans l'aigu, mais qui la rend instable et la fait sonner déjà vieillie. Edgaras Montvidas force encore davantage sa voix, au point que l'émission d'Hélène Guilmette paraît par contraste presque détendue dans son duo avec lui de l'acte III scène 3. Capable pourtant aussi de rondeur et de douceur, c'est semble-t-il pour se créer des aigus et des forte qui en imposent qu'Edgaras Montvidas utilise des moyens excessifs, cassant une nuque raidie, ouvrant trop largement sa mâchoire, abaissant son larynx et soulevant son voile du palais dont il contracte les piliers. Il en résulte une émission durcie et forcée qui met en péril à terme sa longévité vocale.
Si la recréation de cet ouvrage est méritoire, on en sort donc un peu déçu et irrité.
À voir jusqu'au 19 juin à l'Opéra Comique. à écouter sur France Musique le 2 juillet 2017 à 20h.
Alain Zürcher