Écoutes de Spectacles

Miranda

 • Paris • 27/09/2017
Choeur et orchestre Pygmalion
Raphaël Pichon (dm)
Katie Mitchell (ms)
Joseph Alford (chg)
Chloé Lamford, (v)
James Brandily, (d)
Sussie Juhlin-Wallen (c)
Max Pappenheim (s)
James Farncombe (l)
Miranda  :  Kate Lindsey
Prospero  :  Henry Waddington
Anna  :  Katherine Watson
Ferdinand  :  Allan Clayton
Le Pasteur  :  Marc Mauillon
Anthony  :  Aksel Rykkvin

L'Opéra Comique présente un nouveau pasticcio inspiré de la Tempête de Shakespeare. Au lieu d'en garder la trame, Katie Mitchell et Cordelia Lynn en écrivent une suite, centrée sur le personnage de Miranda, fille de Prospero. Chez Shakespeare, elle est exilée bébé avec son père sur une île, est élevée avec Caliban, indigène de cette île qui tente de la violer, et finalement mariée avec le prince Ferdinand que Prospero fait échouer sur l'île grâce à une tempête. La pièce nouvelle se déroule quant à elle entièrement pendant l'enterrement de Miranda dans un temple protestant rectangulaire en béton, avec donc une parfaite unité de lieu et de temps.
La trame inventée semble claire quand on la lit mais est particulièrement confuse quant on la voit, ce qui est pourtant le but d'un spectacle. Elle met en scène deux jeunes femmes dont on finit par comprendre que l'une est Miranda et n'est donc pas morte, tandis que l'autre, Anna, n'est pas la deuxième fille mais la nouvelle épouse de Prospero. Après quelques pièces de circonstance sur le thème funèbre intervient une prise d'otages par des sbires embauchés par Miranda, qui réapparaît pour se plaindre de trois choses : avoir été exilée ave son père, violée et mariée trop jeune. Tout cela est joué par les sbires portant des masques qui semblent identiques mais qui sont peut-être supposés représenter les personnages. On comprend ainsi qu'il s'agit au sens propre d'un mask, pièce dans la pièce fort prisée par Shakespeare.
Sur la question du viol, on ne comprend pas trop si le violeur serait Caliban, jamais évoqué sinon par le mot de "monstre", le mari de Miranda, son père ou pourquoi pas tous à la fois, pour mieux coller à la charge hystérique des librettistes? Peut-on l'appeler féministe, quand une telle lourdeur en est le troll, la caricature grotesque et ne peut que plomber toute cause féministe réelle? L'immense Shakespeare et sa Tempête ont bien sûr donné lieu à toutes les relectures, post-coloniales, psychanalytiques... Nos librettistes on peut-être lu l'article de Jessica Slights paru en 2001, Rape and the Romanticization of Shakespeare's Miranda?

Dans le discours des concepteurs du spectacle, il s'agit bien sûr de nouer un fructueux dialogue entre Purcell et notre époque. Dans la réalité, il s'est agi de tisser ensemble un florilège de pièces et d'airs célèbres de Purcell, joués dans une esthétique supposée d'époque, avec des passages parlés selon la déclamation dramatisée conventionnelle et donc moderne de la télévision, au premier (et unique) degré considéré comme naturel dans les séries télévisées. Comme sur les stations de radio commerciales, les voix parlées sont rendues encore plus ronflantes par la prise de son. L'écrin de béton rectangulaire qui enferme la scène et le son contribue sans doute aussi à l'acoustique plafonnée et saturée, ronflante dans le médium et pauvre en harmoniques aigus. Le chant lui-même en pâtit, sans que l'on sache si la cause en est cette boîte ou les micros peu ou mal coupés après les passages parlés. L'orchestre est lui-même très sonore, ce qui rendrait nécessaire une meilleure présence du formant du chanteur pour passer par dessus. Que ce soit le fait de l'habitude ou de meilleurs réglages, la qualité acoustique semble s'améliorer en cours de soirée. Mais c'est à un véritable choix d'une esthétique amplifiée que l'on reste confronté, comme quand le génie de cet autre excellent ensemble qu'est Le Balcon nous semble étouffé par son principe même : le choix de l'amplification. Les multiples bruitages new age qui perturbent la cérémonie y contribuent, apportant selon les principes du comique de répétition une des rares touches d'humour involontaire de la soirée, un peu comme si le bruit de la fermeture des portes de Pelléas était caricaturé à l'infini par les Monty Python ou Kaamelott.

Purcell a introduit même dans la tragédie de Didon et Énée des passages non pas de pure comédie comme Shakespeare dans le Songe d'une nuit d'été, mais vifs et ironiques comme l'air Fellow sailors ou les scènes des sorcières. Rien de cela ici, mais la pesanteur univoque d'un discours vindicatif et hystérique, qui fait d'abord se réfugier dans la dégustation purement musicale, avant de gâter même le plaisir de cette dernière, quand la belle Plainte de Fairy Queen s'alourdit d'un vérisme que l'on croyait plus transalpin que britannique. Si aucun humour ne semble jamais effleurer librettiste (autrice !) et metteuse en scène, Raphaël Pichon lui-même ne saisit jamais l'occasion du moindre interlude pour varier la palette noire de la soirée. La différence est on ne peut plus totale avec le Didon et Énée présenté ici-même en 2008, dont on sortait si euphorique, quand bien même le surjeu hystérique demandé par Deborah Warner n'avait rien à envier à celui de Katie Mitchell.

Difficile de juger dans ce contexte des interprètes qui auraient été magnifiques au concert. L'orchestre est d'une somptueuse richesse et d'une unité rare. Les choeurs sont superbes. Kate Lindsey commence avec une certaine lourdeur surtimbrée. Katherine Watson témoigne de plus de finesse. Allan Clayton est superbe de clarté vocale mais est sous-employé. Henry Waddington grossit son émission et perd ses aigus en incarnant son personnage déplaisant. Marc Mauillon se glisse idiomatiquement dans les attitudes, le port de tête, les petits gestes et manies du pasteur, mais n'est pas plus marquant que cela dans le reste de son rôle.

À voir jusqu'au 5 octobre à l'Opéra Comique, et le 29 septembre à 20h en direct sur Arte Concert. à écouter sur France Musique le 15 octobre 2017 à 20h.