Kindertotenlieder R
Théâtre de l'Athénée • Paris • 14/05/2018
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Les Lundis musicaux de l'Athénée nous présentent un jeune chanteur prometteur, encore élève du CNSM, ce qui est peut-être une première en termes de lancement précoce de carrière ! On ne peut que regretter que cette série de récitals, si nécessaire pourtant dans le paysage musical parisien, ne fasse à nouveau pas salle comble. Venez donc au dernier moment, il reste toujours des places !
Le programme offert ce soir est ambitieux, puisqu'il convoque des compositeurs romantiques tardifs que l'on n'aborde généralement qu'à la maturité, après avoir chanté son content de Mozart et de Schubert. Musicalement, Edwin Fardini le mène de main de maître. Sa voix offre un contraste d'intensité impressionnant entre ses nuances piano et forte.
À la réflexion, c'est cependant peut-être aussi par là qu'elle pêche : l'alternance de piano et forte est même trop calculée, délivrée de manière si imperturbable que l'on doute que sa nécessité en soit réellement ressentie dans l'instant. On remarque aussi rapidement que sa voix ne conserve pas les mêmes qualités entre le piano et le forte. Plus précisément, les forte d'Edwin Fardini sont puissants, mais surtout brillants et clairs, bien définis vocaliquement, directs, efficaces, par exemple sur "Nuit éternelle, engloutis-moi !" à la fin du cycle de Ropartz.
Ce n'est pas le cas de ses piano, qu'il obtient par une forme de couverture excessive, alors même qu'il ne recourt pas à cet expédient dans ses aigus forte. Sa voix sonne alors comme avalée, ses [a] en particulier, et particulièrement en allemand. Ses [u] ("ou" en français) sont par contre très efficaces. Et dans Ropartz, même en nuance piano, ses voyelles sont beaucoup plus naturelles et claires. Dans Liszt, c'est même physiquement ses lèvres qu'on le voit avaler et plaquer contre ses dents, privant ainsi son timbre d'harmoniques aigus, d'une accroche plus haute, plus fine, et par là d'une relation plus verticale avec un soutien du souffle plus bas, qui corrigerait aussi son vibrato parfois un peu lent et large.
C'est comme s'il avait trop écouté Jonas Kaufmann et Matthias Goerne, alors même qu'il annonce avoir travaillé avec Thomas Quasthoff et Stephan Genz, deux bien meilleurs exemples à suivre. Une nuance piano n'a rien à voir avec la sourdine d'un piano, avec un voile cotonneux dont on envelopperait sa voix. Certes, Quasthoff trouvait souvent un creux très impressionnant dans sa voix, mais simplement par l'ouverture, la détente, la connexion au souffle, jamais par un forçage ou un appui pharyngé, comme ici au début, un peu trop grave pour Edwin Fardini, de Wenn dein Mütterlein.
Dans la suite de ce Lied, il élargit trop sur "Sondern auf die Stelle", ce qui fait que le piano suivant sur "näher näher, nach der Schwelle" manque de concentration, de focus et donc d'efficacité. Notre baryton risque de devoir pousser trop de souffle pour alimenter cette largeur excessive. Sur "O du, des Vaters Zelle", il retrouve le brillant de sa voix dès qu'il atteint le forte, mais recreuse trop le grave final, dans cette tessiture globalement trop grave pour lui. Pourquoi ne pas se penser un peu ténor pour bien chanter baryton ?
C'est aussi toute une palette de nuances reliant piano et forte qu'il lui reste à développer, en un continuum toujours placé sur le souffle et présentant toujours un spectre harmonique complet, le fameux chiaroscuro italien. D'un côté rester sur le souffle dans le grave, sans écraser, de l'autre trouver et conserver une accroche haute en permanence, un léger métal comme sur [n] ou [i], et en point commun entre les deux conserver dans la bouche la même articulation et la même formation des voyelles. Pourquoi ne pas écouter aussi le naturel de Christian Gerhaher, ou la clarté si libre de l'admirable, quoique méconnu en France, Roderick Williams ? Ce sera la clé d'un beau et durable développement, et de nombreux récitals et rôles chantés sans fatigue vocale.
Le dernier des Kindertotenlieder, avec son intensité dramatique et vocale, convient bien à Edwin Fardini. Dans le pianissimo final, il utilise enfin une mezza voce plus claire et plus efficace, qui n'a rien de faible ou de détimbré puisqu'elle conserve enfin ses harmoniques aigus.
Aux côtés d'Edwin Fardini, Tanguy de Williencourt est un remarquable partenaire, à la fois poétique et très structuré. Adrien La Marca est un invité de grand luxe pour accompagner les deux pièces de Brahms.
Alain Zürcher