Rodelinda OC
Théâtre des Champs-Élysées • Paris • 10/12/2018
Emmanuelle Haïm (dm)
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Le théâtre des Champs-Élysées accueille en version scénique la Rodelinda de Haendel montée cet automne à l'Opéra de Lille et au Théâtre de Caen. La distribution a légèrement changé au passage, avec le remplacement d'Eduige et d'Unulfo. C'est sans doute pour cela que Romina Basso, après un air d'entrée bien maîtrisé, semble découvrir son rôle en le déchiffrant sur scène, photocopies à la main. Elle est heureusement une formidable musicienne, qui trouve du coup dans l'instant une fantaisie d'inflexions et de phrasés qui manque parfois à ses collègues, chez qui la connaissance peut parfois s'affadir en routine.
Rien de tel chez l'Unulfo de Paul-Antoine Bénos-Djian, magnifique de bout en bout Un peu uniforme certes, mais si touchant dans l'élégie, et efficace dans la vocalise de "Sono i colpi della sorte". Et quelle merveille que d'entendre réunis deux contreténors aussi différents et aussi parfaits que lui et Tim Mead ! Le premier est plus clair de timbre, mais sa voix emplit tout aussi bien la salle. Le second combine les qualités du legato et de l'agilité, par exemple dans son bel air "Vivi, tiranno".
À leurs côtés, Andrea Mastroni est une basse impressionnante, dont la stabilissime colonne d'air est parfaitement connectée à une articulation libre et fluide. Benjamin Hulett convainc en Grimoaldo, conférant à son rôle l'humanité d'un Titus. Ce n'est que dans l'air "Prigioniera ho l'alma in pena" que son émission est un peu ouverte et plate, manquant de lyrisme. Il vocalise bien dans "Tuo drudo è mio rivale", et sonne naturellement grave dans "Tra sospetti, affetti, e timori".
Cette belle distribution est malheureusement gâtée par le choix d'une Rodelinda à l'émission très défectueuse, grossie en "patate chaude" par une dilatation rigide du conduit vocal, au détriment de la définition des voyelles, de la netteté des consonnes et donc de la compréhension des paroles. Si l'on ajoute qu'elle attaque toutes ses phrases par en-dessous et que sa justesse en est rendue plus qu'approximative, et qu'enfin ce grossissement constant du médium l'oblige à ensuite crier ses aigus, on comprendra le calvaire d'entendre ainsi sonner en bouillie indistincte, comme déformés par un porte-voix, tous les beaux airs de son rôle, en principe variés et touchants. Dans "Spietati, io vi giurai", son émission est un peu plus concentrée, mais cette accroche "dans le masque" n'est qu'une compensation nécessaire et non idéale au grossissement qui ampoule sa voix. Cela ne nous empêche heureusement pas d'apprécier son rare et beau duo avec Bertarido, "Io t'abbraccio".
Emmanuelle Haïm et son orchestre font malheureusement preuve d'une lourdeur semblable, avec des entrées et des accents souvent grotesquement appuyés par rapport à la finesse de phrasé avec laquelle les pauvres chanteurs tentent de communiquer au public une fragile émotion. Est-ce parce que ce concert a été répété en fosse, avec une nécessité d'intensité sonore ayant conduit à un épaississement du son et des lignes ? Les cordes sonnent écrasées par leurs archets !
Une musique si simple laisse pourtant une place immense à l'orchestre aussi bien qu'aux chanteurs ! Pourquoi seuls ces derniers pourraient-ils user de toutes les séductions du phrasé, du timbre et de l'ornementation ? Comment imaginer que dans un air comme "Dove sei", Haendel lui-même n'ait pas voulu jeter sur le papier la trame idéale et souple permettant un dialogue et une émulation entre la voix et les instruments ? Dans "Confusa si miri" aussi, un peu plus de subtilité à l'orchestre aurait mieux servi les intentions de Tim Mead.
Moins souvent montée que Giulio Cesare ou Rinaldo, Rodelinda est à la mode, puisqu'on pourra en voir une autre production sur scène à l'Opéra de Lyon à partir du 15 décembre.
Alain Zürcher