Écoutes de Spectacles

Azor

 • Paris • 22/12/2018

Azor

 • Paris • 27/12/2018
Emmanuel Bex (dm)
Stéphan Druet (ms)
Alma de Villalobos (chg)
Emmanuelle Goizé (sc)
Denis Evrard (c)
Christelle Toussine (l)
Lalouette, Robert Favier  :  Julien Alluguette
Le brigadier, M. Marny, M. Dubois  :  Gilles Bugeaud
Marlène Dubois  :  Fanny Fourquez
Cloclo la Panthère, Pupucette  :  Pauline Gardel
Azor  :  Quentin Gibelin
Vittock, Mme Marny, Claudine  :  Emmanuelle Goizé
Brignol, Mme Dubois  :  Estelle Kaïque
Steinkopf  :  Pierre Méchanick
Kiki la Frisette  :  Antonin Fresson


photo © Nicolas Spanoudis
photo © Nicolas Spanoudis

Après les nombreuses créations des Brigands, l'Athénée en accueille des transfuges pour les fêtes : la compagnie Quand on est Trois (Emmanuelle Goizé, Gilles Bugeaud et Pierre Méchanick) nous fait découvrir Azor. Mais c'est surtout leur collaboration avec Emmanuel Bex qui rend leur spectacle très étonnant : la légère orchestration d'origine est remplacée par un trio qui est même plus rock que jazz. Le but annoncé est de mettre en valeur le rythme, essentiel à ce répertoire. Le contrat est rempli, mais c'est aussi le seul écueil de cette production : certains numéros de la partition, plus phrasés, tendres ou lyriques, s'y prêtent moins que d'autres. L'équilibre est également délicat entre les instruments et les chanteurs, même sonorisés. Suivre toutes les paroles requiert dès lors un effort de concentration qui contredit la séduction facile de l'ouvrage. Les musiciens se mettent parfois en retrait, le temps par exemple pour Emmanuelle Goizé de s'accompagner avec une boîte à musique. Peut-être ces temps de repos rythmique auraient-ils pu être étendus.

Si on ne connaissait guère de l'opérette de 1932 que la chanson Azor chantée par Arletty, on découvre de nombreux airs intéressants dans la partition. Le formidable site ECMF (Encyclopédie multimédia de la comédie musicale théâtrale en France) de Jacques Gana permet aux amateurs de s'y replonger.

Soutenue par le trio musical, qui intervient aussi dans de petits rôles, la distribution réunie déploie une énergie et un talent réjouissants tout au long des deux heures d'un spectacle sans entracte. Les talents de danseurs et de comédiens de chacun sont mis à contribution au moins autant que leurs talents vocaux. Emmanuelle Goizé explose à nouveau dans un des rôles les plus déjantés de son répertoire. Gilles Bugeaud est impayable dans ses trois incarnations très différenciées. Ils sont rejoints par l'excellent jeune premier Julien Alluguette, la touchante Pauline Gardel, la séduisante Fanny Fourquez, la pince-sans-rire Estelle Kaïque... La caractérisation de chaque personnage est poussée à bout, de manière très efficace et désopilante. Décor et costumes (et perruques !) sont en phase avec cette inventivité.
Face aux anciens Brigands, Quentin Gibelin est très convaincant dans sa maîtrise d'un rôle titre plus fouillé que les autres, qui n'est pas un chien mais le surnom du commissaire ! Pierre Méchanick convainc davantage au fil de la soirée, mais on regrette que quelque correction politique semble avoir bridé la caricature attendue de son rôle de juif, d'autant plus qu'à chaque réplique et couplet on imagine intérieurement le parti humoristique qui pouvait en être tiré.

Le tableau social brossé par l'oeuvre est aussi juste que caricatural, entre rupins de Neuilly et apaches, grand monde amoral et bas-fonds non dénués de sensibilité naïve à la poésie (et aux dictionnaires de rimes).
Le contrepied anachronique des instrumentistes crée une confrontation intéressante avec l'univers mental associé aux années 30 : grattement nasillard des vieilles cires, gouaille des faubourgs, images de films noir-et-blanc, visages d'acteurs, pochettes de disques, affiches... À l'instar de la musique, la scène devient parfois celle d'un concert de rock. Gestuelle et danse traversent quelques décennies jusqu'aux années 70. La transposition ne fonctionne pas toujours mais ajoute son propre comique et sa propre critique sociale. Il serait intéressant de connaître les réactions de spectateurs sans références culturelles à l'époque de la création de l'oeuvre, et de savoir quels sentiments cette interprétation leur inspire !

Un désopilant et revigorant spectacle total pour les fêtes !


Une production aussi pleine d'énergie donne envie d'être revue ! La nouveauté de sa réinterprétation instrumentale justifie aussi pleinement une deuxième écoute. Excellente idée, car si à la première écoute l'accentuation rythmique semblait parfois écraser les autres paramètres musicaux, cette deuxième écoute permet de percevoir toutes les nuances d'intensité, de modes de jeu, de styles musicaux et donc de climats créés, dans une traduction judicieuse du caractère de chaque morceau. L'interprétation a-t-elle mûrie depuis sa création dans cette salle ? L'équilibre entre voix et instruments et la clarté du texte sont en tout cas parfaits ce soir depuis la corbeille, après une première écoute à l'orchestre.

On apprécie d'autant plus, lors d'une deuxième vision, les rapides changements de personnage et les doubles ou triples incarnations de la plupart des interprètes. Avec son jeu physique et expressif, Julien Alluguette est également amusant en policier (et en voix de tête). Les yeux écarquillés de Quentin Gibelin ont toujours un impact aussi efficace, évoquant le cinéma muet. Emmanuelle Goizé est peut-être un poil moins hystérique ce soir, mais vu le niveau dont elle part, son personnage est encore convaincant ! Amusante en policier Brignol, Estelle Kaïque est magistrale en Ministresse. Seul bémol, Steinkopf ne convainc malheureusement pas davantage.

Une réussite très applaudie, mais il reste des places !

À voir du 20 décembre au 13 janvier au Théâtre de l'Athénée.