Écoutes de Spectacles

Les Deux Aveugles / Le Compositeur toqué

 • Paris • 19/01/2019
Christophe Manien(piano)
Lola Kirchner (ms,dc)
Cyril Monteil (l)
Fignolet, Patachon  :  Raphaël Brémard
Séraphin, Giraffier  :  Flannan Obé


Le Palazzetto Bru Zane, Centre de musique romantique française, lance une saison d'opérette à Paris ! Le programme nous apprend que les opéras et opérettes en un acte constituaient les deux tiers du répertoire lyrique romantique français. Les deux opérettes présentées sont presque contemporaines et signent les débuts du genre. Elles sont comme il se doit autant théâtrales que musicales.
La musique est présente non seulement dans les couplets chantés, mais aussi dans le trombone et la mandoline joués par Patachon et Giraffier, et bien sûr le thème même du Compositeur toqué. Si on n'en ressort pas de ce Compositeur avec des mélodies plein la tête, Les Deux Aveugles inclut un facile et mémorisable boléro chanté en duo, "La lune brille", ancêtre de bien des rengaines exotiques de pacotille, à commencer par celles de la Périchole.

Flannan Obé (déjà souvent apprécié dans ces pages) et Raphaël Brémard, rompus à ce répertoire, nous en font savourer chaque instant avec gourmandise, ajoutant leur touche personnelle sans jamais trahir l'original. Tournant depuis un an, leur spectacle est parfaitement rodé.

C'est à deux pas d'ici au Carré Marigny, que Jacques Offenbach a créé ses Deux Aveugles, dans une salle qu'il baptise déjà les Bouffes-Parisiens. Le théâtre d'Hervé, les Folies-Concertantes, n'est rien moins que l'ancêtre du théâtre Déjazet, seul théâtre du boulevard du Crime à avoir survécu.

La création scénique de Lola Kirchner (mise en scène, décors et costumes) est parfaitement adaptée à la bouffonnerie des oeuvres comme à la nécessité de faire tourner le spectacle, ne reposant . Elle ne repose ainsi en rien sur l'équipement des salles qui l'accueille. L'opérette étant naturellement un genre apte à tourner et à séduire les publics les plus variés, il est réconfortant de voir tourner en ce moment plusieurs spectacles où se produit le génial Flannan Obé.

Deux faux aveugles mendiant sur le même pont, un compositeur (Hervé lui-même au piano lors de la création) qui crée sa symphonie avec son valet, les situations sont burlesques et prétexte à moult jeux de de scène et de langage, sans bien sûr être exemptes d'une évidente critique sociale, sans laquelle le rire serait moins jaune et moins fou.

« Que les cha…
     (Note de trombone.)
ritables personnes
Jett'nt une au…
     (Note de trombone.)
mône au mâlhûreux.
L'aveugle à qui qu'on fait l'aumône
N'est point z-un faux nécessiteux,
N'est point z-un faux né…
     (Note de trombone.)
Un faux né
     (Note de trombone.)
Un faux nécessiteux. »
(Wikisource)

Pas de faux-nez mais des grimages de clowns tout de même, qui, s'ils font rentrer plus librement dans la folie, la tiennent aussi à distance.
Hervé est plus déjanté encore, mais productif, car sous sa direction artistique 150 pièces, dont 134 créations en majorité d'Hervé, auront été représentées de 1854 à 1859 aux Folies-Concertantes rebaptisées Folies-Nouvelles ! Le Compositeur toqué, dont Hervé a aussi écrit le livret, met en musique la prise de Gigomar... par les intrus ! « Voyez-vous, par là ça fait le bacchanal (il montre l'extérieur de la casserole), et par ici ça fait les épinards. Et le cri du Missipipi ! Qui qui le chante donc ? C'est moi, c'est bibi. »

Et la grande musique académique de son époque ? En voici :

« DUO
FIGNOLET, prenant la main de Séraphin, et avec sentiment.
1er Couplet.
Toi, mon frère, mon compagnon d'armes,
Je réclame ici ton appui ;
Toi, dont l'organe plein de charmes
Doit me seconder aujourd'hui.
Dans ma symphonie héroïque,
À ma couronne ajoute un épi ;
Et chante d'un air pathétique
Le doux chant du Mississipi.
SÉRAPHIN, répétant avec onction.
Le doux chant du Missipipi !
ENSEMBLE
Quel plaisir que la mélodie !
Préludons par les plus doux chants.
Ô divine harmonie,
Viens te joindre à nos accents !
(Avec excentricité.)
Et trine, trine, trine,
Atchigne, aboum, acaputisi !
Ô divine mélodie !
Et trine, trine, trine,
Atchigne, aboum, atchicapouf !
Orrr… niff ! »
(Livret publié par Bru Zane.)

On ne s'en lasse pas !

À voir les 19 et 20 janvier 2019 au Studio Marigny. En attendant trois autres opérettes jusqu'en juin 2019 !