Souvent appréciée dans ces pages, Julie Fuchs a concocté avec Alphonse Cemin un récital original. Ce n'est pas la voix parlée mais une chanson qui introduit chaque partie, et chacune de ces deux parties est très différente, sans se disperser aucunement, puisque la première se concentre sur Debussy (beaucoup) et Poulenc (un peu), la seconde sur Crumb (beaucoup) et Cole Porter (un peu).
Dire que l'on est enthousiaste d'un bout à l'autre serait cependant exagéré. Il est même manifeste que Julie Fuchs est plus convaincante dans un cadre scénique et dramatique plus engagé. La maîtrise demandée par Crumb et le climat qu'il incite à créer portent son talent plus loin que de simples mélodies, dont elle ne renouvelle guère l'expression ou le mode de transmission. Elle est plus inspirée par les vocalises du cycle de Crumb, qui évoquent Stripsody de Cathy Berberian. Trouve-t-elle pour Cole Porter une émission assez libre, dans une tessiture suffisamment facile ? Autre chose est possible, peut-être à venir !
Dans les mélodies françaises, et encore plus particulièrement dans Nuit d'étoiles offert en dernier bis, quitte à respecter le cadre classique du récital, autant respecter aussi une pureté d'attaque, d'intonation et de définition des voyelles. Quand elle n'est pas nourrie par l'incarnation scénique, il y a quelque chose d'ondulant dans la posture de Julie Fuchs, et donc dans la stabilité de son larynx et de sa colonne d'air. L'accolement de ses cordes vocales pourrait être plus net et éviter à ses attaques vocales toute déperdition de souffle, puis simplifier la gestion de ses phrases comme l'intelligibilité de son texte. C'était sans doute le secret de l'émission si nette d'Edita Gruberova, que l'on se souvient avoir entendue ici-même dans les Lundis musicaux originels de Pierre Bergé.
Julie Fuchs conduit bien la belle dernière mélodie de Poulenc, Aux officiers de la garde blanche, dans laquelle elle trouve un élan et des contrastes plus naturels, moins retenus ou contrôlés.
Alphone Cemin impose toujours son jeu très clair et léger. Il semble développer une maîtrise croissante de la pulsation, un sens du rythme et de la phrase qui lui permet de montrer la plus grande rigueur tout en donnant l'impression de jeter ses doigts au hasard sur le clavier. Effet magistral garanti pour l'entrée de Violon de Poulenc donné en bis !
Alain Zürcher