Raquel Camarinha R
Théâtre de l'Athénée • Paris • 11/02/2019
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Pour le lancement de leur disque Rencontre chez Naïve, Raquel Camarinha et Yoan Héreau présentent à l'Athénée un programme voisin de mélodies françaises.
Le duo, également uni à la ville, séduit par sa grande complicité. Son programme est classique sans être aucunement banal. Ils nous donnent même l'impression rare de redécouvrir certains cycles, de les réentendre différemment. Shéhérazade est bien sûr très différent au piano, servi par le timbre fragile de Raquel Camarinha, loin de la volupté opulente des divas soutenues par la version orchestrale. Dans les Quatre poèmes hindous, on redécouvre surtout l'originalité de l'écriture pianistique de Maurice Delage, dont Yoan Héreau sait si bien caresser les nuances différentes de numéro en numéro, entre le Ravel de Shéhérazade et celui des Histoires naturelles. Dans les Cinq poèmes de Baudelaire de Debussy, on entend un accord nouveau entre la voix et le piano, une intimité tranquille, une clarté dans la simplicité, une plénitude dans la légèreté. Le jet d'eau ose des piani éthérés mais présents, et les deux dernières mélodies sont sublimes. Leurs Poulenc sont parfaitement idiomatiques. le couple a beaucoup tourné avec La voix humaine, cela s'entend ce soir. Raquel Camarinha incarne réellement sa Dame de Monte-Carlo.
Tous deux imposent une forte présence grâce à leur parfaite maîtrise du temps. Un grand calme, des silences affirmés, des phrasés conduits jusqu'à leur terme par l'intention têtue, même quand Raquel les segmente à l'excès par ses reprises de souffle. Après sa robe superbe de princesse orientale ou quasi-maeterlinckienne, sa tenue hiératique, son calme et sa détermination, c'est sa technique vocale qui surprend, mais par son incongruité. Personne ne doit enseigner d'inspiration si haute, dans un soulèvement des épaules (de la fameuse robe), ni d'expiration par l'abaissement du sternum et de la cage thoracique, et pourtant on l'a laissée faire, comme naguère Rachel Yakar n'a pas voulu modifier la technique de Patricia Petibon, objectivement incorrecte mais servant si bien sa personnalité. Pour l'instant cela fonctionne et suscite une fragilité touchante. La fermeture de la cage thoracique n'est pas chez Raquel Camarinha un affaissement passif, c'est au contraire une compression dont la tonique qui la sauve. Ne voit-on le même type de mouvement sur certaines vidéos de Régine Crespin ? Comme Patricia Petibon, Raquel Camarinha va peut-être réussir quelques années de carrière avec cette technique particulière, avant de connecter sa voix de manière plus orthodoxe et profonde, et renaître plus dramatique. On lui souhaite cette chance.
Si la gestion du souffle de Raquel Camarinha est étrange, elle la met au service d'un excellent fonctionnement de ses cordes vocales, que cette technique ne soumet pas à une pression excessive qui serait dangereuse. Définition vocalique et articulation sont généralement très nettes et détaillées. Raquel Camarinha forme et savoure les mots comme on suce des bonbons. Cette clarté et cette légèreté sont idéalement complétées par le piano de Yoan Héreau, libre et souple, léger mais assuré. Seule entorse à la légèreté, d'étranges "r" grasseyés comme par une chanteuse réaliste rétro apportent la touche terrienne sans laquelle Raquel Camarinha s'évaporerait peut-être, trop diaphane.
Sur scène, le duo est également très au point dans les transitions parlées, où chacun tient son rôle, à la manière de Rodolphe Bruneau-Boulmier et Émilie Munera sur France-Musique.
En bis, Clair de lune de Fauré est un peu moins maîtrisé rythmiquement, et on n'entend pas le "b" de "marbres". Nos deux artistes diversifient ensuite leur palette avec Dance me to the end of love de Leonard Cohen, efficacement contenu dans une palette de teintes douces qui soulignent son caractère envoûtant. Une fois de plus, la simple concentration et l'assurance calme de Raquel Camarinha suffisent à lui assurer présence et impact. Le troisième bis est un hommage grave et soufflé à ses origines portugaises. Le tour d'horizon s'achève avec la chanson Je ne t'aime pas de Kurt Weill, que l'on imagine avoir déjà servi de bis idéal à La voix humaine. Démonstration réussie.
Alain Zürcher