Écoutes de Spectacles

Yes !

 • Paris • 21/12/2019
Paul-Marie Barbier (piano et vibraphone)
Matthieu Bloch (contrebasse)
Thibault Perriard (percussions et piano)
Vladislav Galard et Bogdan Hatisi (ms)
Alma de Villalobos (chg)
François Gauthier-Lafaye (sc)
Benjamin Moreau (c)
Yvon Julou (l)
René Gavard, le roi du vermicelle  :  Éric Boucher
Maxime Gavard, son fils  :  Célian d'Auvigny
César  :  Mathieu Dubroca
Roger  :  Flannan Obé
Totte  :  Clarisse Dalles
Loulou, Clémentine, Lady Winchester  :  Caroline Binder
Mme de St-Aiglefin  :  Anne-Emmanuelle Davy
M. de St-Aiglefin  :  Gilles Bugeaud
Marquita Negri  :  Emmanuelle Goizé


Soutenus à nouveau par le Palazzetto Bru Zane, les Brigands reviennent à l'Athénée pour leur toujours attendue opérette de fin d'année. Yes ! se révèle un très bon choix. Mettant en scène des anglais et un communiste, elle ne pouvait mieux tomber entre grèves et Brexit.

La réalisation musicale est particulièrement innovante et soignée : ce n'est plus la réduction d'un orchestre classique mais un riche trio de jazz multi-instrumentiste. Rendant justice à l'influence du jazz sur Maurice Yvain, le trio parvient à éblouir par sa virtuosité tout autant que par son engagement musical au service de l'oeuvre et des chanteurs. Ajoutant notamment des guitares aux instruments cités au programme, ils réussissent non seulement à faire swinguer la partition, mais à envelopper les moments tendres des climats les plus suaves.

Yes ! est une oeuvre emblématique de son époque. Moderne, elle intègre le jazz, le début des lyrics introduits en France par Willemetz et la présentation de chansons intercalées au sein d'une pièce frivole et ironiquement amorale. Les anciens Gilles Bugeaud, Emmanuelle Goizé et Flannan Obé incarnent les rôles mettant en valeur leur talent : le cocu sympathique, la femme sensuelle (et en l'occurence exotique), le coiffeur et chanteur vaniteux.
À leurs côtés, Clarisse Dalles est une ingénue comme il se doit délicieuse, mais à la présence vocale et scénique déjà corsée. C'est à elle que revient la charmante chanson titre Yes !. Caroline Binder est épatante en Clémentine, rôle épisodique de prolétaire créé par Arletty, auquel elle donne facilement une résonance actuelle. L'énergie chaleureuse qu'elle y déploie contraste on ne peut davantage avec son personnage de séductrice épousant un Lord. Éric Boucher est une excellente caricature de patron autoritaire et paternaliste, et Célian d'Auvigny un vélléitaire fils de famille oisif. Le rôle de César, tenu par Mathieu Dubroca, est particulièrement bien écrit, campant un domestique qui est aussi candidat communiste dans le 16ème arrondissement, situation dont les auteurs tirent toute l'ironie possible.

Si seuls les couplets seraient de Willemetz, l'ensemble du livret est d'excellente facture. Chaque personnage est campé à l'emporte-pièces et au premier degré, dans une distribution des rôles sociaux en phase avec le thème sous-jacent de la lutte des classes, mais chacun acquiert tout de même une épaisseur, une présence charnelle et vécue, avec son côté attachant, même dans l'enchaînement brillant des scènes et des chansons.
Les Brigands ont supprimé le personnage de Loysel et quelques péripéties, mais leur composition tient la route, parfaitement soutenue par les musiciens et la scène. Le décor met en valeur les deux pianos qui constituaient lors de la création une originalité de Maurice Yvain - fortement inspirée du premier duo de jazz de Jean Wiéner et Clément Doucet. Mais devant le succès, le compositeur a dû écrire dans les mois qui suivirent une version pour 12 musiciens puis une autre pour 35 !

Couplets et ensembles sont variés : tendres airs sincères de Totte (jusqu'à son attendrissante rêverie moderne devant un catalogue de grand magasin !), parodies de chansons de charme à trois sous de Roger/Régor, chanson du fils de famille "Si vous connaissiez papa" mais aussi chanson douce du "Ou", gouailleux refrain de Clémentine "Moi je cherche un emploi", charmant duo "À Londres", inévitable énergie sud-américaine de "Sous le soleil de la pampa" et de "Je suis de Valparaiso", profession de foi puis désopilants adieux du candidat communiste à son électorat...

Le seul défaut du spectacle est que la combinaison des voix, de l'acoustique et de la configuration scénique oblige souvent à un effort pour comprendre toutes les paroles et empêche d'être immédiatement en phase avec la rapidité de l'action et l'humour des répliques.

À voir jusqu'au 16 janvier 2020 au Théâtre de l'Athénée puis en tournée.