La Dame Blanche
Opéra Comique • Paris • 22/02/2020
Choeur Les éléments
Joël Suhubiette (cc) Orchestre National d'Île-de-France Julien Leroy (dm) Pauline Bureau (ms) Emmanuelle Roy (d) Alice Touvet (c) Nathalie Cabrol (v) Jean-Luc Chanonat (l) |
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Vingt-trois ans après sa dernière production (et première reprise après soixante-dix ans), l'Opéra Comique remonte La Dame blanche. Ce n'est pas une révolution ni une redécouverte, sauf pour le chef et la metteuse en scène, trop jeunes pour avoir assisté à la reprise précédente. Si on est stupéfait, ce n'est que par l'absence totale, une génération plus tard, de regard neuf sur cette oeuvre. Si la production de 1997 était déjà traditionnelle, ce qui était judicieux pour une résurrection, l'approche de la jeune équipe est encore plus poussiéreuse et pétrie de clichés qui ne devraient logiquement plus rien signifier pour elle. Pauline Bureau a beau, parlant à propos des costumes dans les notes de programme, annoncer quelque tartan revisité "en évitant le pittoresque, (...) dans un esprit couture et contemporain", les costumes comme les toiles peintes semblent avoir été exhumées du Centre national du costume de scène et de la scénographie de Moulins. Difficile aussi d'imaginer direction d'acteurs plus convenue. C'est heureusement l'oeuvre elle-même, avec la qualité du livret de Scribe et le charme des mélodies de Boïeldieu, qui captive tout au long de la soirée.
L'orchestre national d'Île-de-France, étrange émanation du mille-feuilles administratif français, sonne d'abord très provincial. L'orchestration de Boïeldieu est heureusement, nous dit le programme, suffisamment simple pour être exportable jusqu'à la moindre sous-préfecture. Mais une fois passé ce temps d'échauffement, on ne remarque plus l'orchestre, hormis quelques solos de cor ou de harpe : c'est dire qu'il remplit parfaitement sa fonction dramatique !
Le plateau vocal, lui, ne peut s'oublier. Il est un réconfortant reflet des remarquables progrès du chant français depuis une génération. Si Gregory Kunde avait à la scène plus de charme et de finesse que le Rockwell Blake de l'enregistrement réalisé à a même époque par Marc Minkowski, Philippe Talbot est lui parfaitement convaincant et idiomatique. Comme en Comte Ory ici-même il y a deux ans, ses aigus sont aussi parfaits que son français. Dédaignant le fausset, il les émet cependant avec la même facilité, sans jamais faire entendre l'effort, la prouesse - et par là la laideur de timbre de ses prédécesseurs. L'homogénéité de son timbre est aussi admirable que son legato.
À ses côtés, Yann Beuron a bien mûri et affirme une voix corsée qui n'a rien perdu de sa clarté et de son intelligibilité. Il campe de ce fait un paysan étonnamment noble ! Les deux couples n'auraient-ils pas dû être mieux différenciés et contrastés ? Sa femme s'essaie certes à quelques expressions patoisantes quand elle parle, mais trouve difficilement sa place quand elle chante. Sophie Marin-Degor aurait peut-être pu avoir l'acidité d'une paysanne mais, peut-être pour tenter de faire le poids face aux deux ténors, elle ampoule et pousse sa voix. Son texte devient de ce fait incompréhensible, et sa voix est privée de toute présence claire dans les ensembles. Or les ensembles sont le meilleur de l'écriture de Boïeldieu ! Le premier acte en pâtit.
Le deuxième acte nous présente avec bonheur trois nouveaux chanteurs tout-à-fait convaincants : l'impressionnante et sombre Aude Extrémo, qui rappelle l'incroyable impact vocal et la présence dramatique de Rita Gorr en fin de carrière. Elle est bien sûr encore plus surdimensionnée et déplacée que Yann Beuron en Dickson, mais son personnage de Marguerite apporte un relief inattendu et excitant à toutes ses scènes. Ne boudons pas notre plaisir ! En Anna, Elsa Benoit est plus classiquement convaincante. Sa voix riche et charnue lui permet aussi les beaux aigus que le compositeur lui demande. Face à elle, Jérôme Boutillier ne fait pas vraiment peur, mais a toutes les qualités d'une belle voix grave.
S'ils sont kitsch à souhait, les décors sont tout de même très séduisants ! Château au clair de lune où se projette une Dame blanche fantomatique, intérieur gothique, couleurs d'un mauvais goût merveilleusement anglais, vidéo animant les tableaux de l'inévitable galerie des ancêtres... Kitsch aussi, les costumes ont le défaut supplémentaire de ne pas permettre de distinguer les vassaux des paysans.
Kitsch toujours, mais si délicieusement, le quasi-yodl (écossais?!) du choeur "Les montagnards, les montagnards sont réunis". Kitsch encore, le refrain de Georges "J'arrive, j'arrive en galant paladin", dont on comprend qu'Offenbach se soit moqué dans Monsieur Choufleuri. D'un charme délicieux, la cavatine de Georges "Viens, gentille dame", chantée d'une voix bien concentrée et souple par Philippe Talbot.
Plus que Minkowski en 1997, Julien Leroy fait bien ressortir la mécanique rossinienne de nombreux ensembles : "Je n'y puis rien comprendre" au premier acte, le très clair et bien structuré "Quel est donc ce mystère" / "Tout cela cache un mystère" au deuxième... Et dire que Boïeldieu se piquait de ne pas vouloir se risquer à imiter son contemporain ! Le choeur Les éléments, décidément devenu indispensable à Paris, exécute ces ensembles avec une clarté et une efficacité parfaites.
À voir du 20 février au 1er mars 2020 à l'Opéra Comique.
Alain Zürcher