Guillaume Tell
Opéra Bastille • Paris • 20/03/2003
Orchestre et Choeurs de l'Opéra National de Paris
Chef des choeurs : Peter Burian Bruno Campanella (dm) Francesca Zambello (ms) Blanca Li (chg) Peter Davison (d) Marie-Jeanne Lecca (c) Jean Kalman (l) |
|
Cette très agréable production réussit à tenir le cap entre divers excès possibles.
La conception musicale n'assimile ce tardif Rossini français ni au bel canto italien ni à Meyerbeer. Guillaume Tell paraît plutôt se situer entre Gluck et Berlioz, notamment dans le traitement des choeurs. La magnifique fin de l'oeuvre est un hymne à la nature dans la lignée des "doux crépuscule" et "nature immense" berlioziens. L'orchestre est souple et soutient bien les voix. Dès l'ouverture, il sait contraster les différents climats de la partition : solo élégiaque du violoncelle, "tempête" du tutti, bois et flûtes bucoliques puis nouveau "déchaînement tranquille", en charge de cavalerie tenant davantage de la parade. Et Bruno Campanella de faire saluer l'orchestre après l'ouverture comme ensuite avant l'entracte !
Francesca Zambello a résisté à la tentation de mettre en scène l'ouverture, qui reste donc purement musicale et est suffisamment intéressante en elle-même. Le rideau se lève sur un décor de lambris clair, flatteur pour les voix. Même les arbres sont faits de planches, pour le plus grand bonheur sans doute des bûcherons de ce pays de Cocagne ! Les costumes sont clairs aussi, avec des touches de couleurs vives. Tout ce bon peuple est ainsi vêtu non tant comme à la campagne (même le dimanche !) que pour une partie de campagne de bourgeois bohêmes tout frais sortis du Bon Marché. Mais le kitsch du décor et des costumes n'est rien par rapport à celui du livret ! En fait, c'est déjà une véritable épure, d'autant qu'on ne verra pas un seul coucou suisse pendant tout l'opéra ! Aucune allusion aux banques, à la Swissair, aux avoirs juifs ni à la lutte du peuple kurde, pas une seule moustache irakienne ni un seul GI, bref, c'est une mise en scène traditionnelle !
Les danses du troisième acte manifestent une certaine ironie par leur simulacre de soumission et d'adoration du pouvoir, mais celles du premier acte restent dans cet entre-deux de la mise en scène, ni réellement villageois ni réellement signifiant.
Le livret se prêterait aisément aux plus amusantes parodies, réussissant à cumuler les clichés de la tragédie lyrique et ceux du grand opéra romantique. L'improbable spectateur que la musique ennuierait pourrait toujours s'amuser à relever la rime riche entre "ravages" et "rivages" ou se délecter à cette succession de rimes en "-ace" digne de Luc Plamondon : "espoir de ma race... que j'embrasse... me glace... point de grâce... c'est ici ma place... tant d'orgueil me lasse... la foudre s'amasse", ou frémir de compassion à l'écoute de répliques aussi poignantes que "il frissonne / j'expire / il pâlit"... Dramatiquement, cet opéra fonctionne cependant très bien, au-delà de l'épisode attendu de la pomme, au demeurant réussi.
Le joli air initial de Toby Spence sonne si amplifié qu'il semble provenir du cadre de scène au lieu du plateau, peut-être en raison du rideau qui voile encore la scène et diminue la proportion de son direct. Les voix moins légères sont ensuite assez faciles à attribuer et à localiser sur la scène.
Marcello Giordani est excellent, de même que son français. Il est ici moins en difficulté que dans son Pirata du Châtelet. Chacune de ses réapparitions sur scène le trouve en bonne forme vocale et est l'occasion d'un nouveau forçage, dont il arrive chaque fois miraculeusement à se remettre, certes plus facilement dans le 'forte' que dans un 'mezza-voce' très périlleux.
Thomas Hampson campe un Guillaume Tell très crédible, grâce à la sincérité un peu pataude qui le caractérise. Son français est superbe, même si sa voix sonne un rien "sourde", notamment par rapport à celle du toujours excellent Alain Vernhes.
Gregory Reinhart est très bien sonnant. Janez Lotric prête à son capitaine un timbre serré et désagréable. Si cette émission peut convenir à ce rôle, on espère qu'il dévoilera d'autres ressources vocales pour incarner Arnold les 8 et 10 avril.
Hasmik Papian se cherche. Elle semble d'abord réussir à faire bien porter un timbre clair, au prix d'une intelligibilité réduite et d'une interversion fréquente de ses "é" et "è", mais la libre résonance de sa voix paraît de plus en plus handicapée par une surarticulation qui fait disparaître son timbre sur la moitié de chaque syllabe. Le recul fréquent de sa langue réduit hélas à néant ses efforts pour garder sa voix "dans le masque". En duo avec Marcello Giordani, son émission paraît encore plus inconsistante. L'alignement de sa tête par rapport à son torse manque de liberté, sa tête fréquemment penchée d'un côté traduit une certaine contrainte.
Jeffrey Wells aboie son rôle assez désagréablement, peut-être seulement pour montrer au public qu'il joue un méchant?
Nora Gubisch est excellente, notamment dans les aigus de son rôle, mais ses graves en poitrine se détimbrent brusquement, perdant harmoniques aigus et concentration du timbre. Gaële Le Roi tient très bien son rôle.
Alain Zürcher