Écoutes de Spectacles

Saul OS

 • Munich • 12/05/2003
Orchestre d'État de Bavière
Choeur de l'Opéra d'État de Bavière
Chef des choeurs : Udo Mehrpohl
Ivor Bolton (dm)
Christof Loy (ms)
Peter Heilker (dr)
Jacqueline Davenport (chg)
Herbert Murauer (dc)
Reinhard Traub (l)
Saul  :  Alastair Miles
Jonathan  :  John Mark Ainsley
David  :  David Daniels
Merab  :  Rebecca Evans
Michal  :  Rosemary Joshua
High Priest  :  Kevin Conners
Witch of Endor  :  Robert Tear
Apparation of Samuel  :  Jonathan Lemalu
Abner  :  Robert Gardner
Doeg  :  Jacques-Greg Belobo
An Amalekite  :  Manolito Mario Franz
Adriel  :  Thomas Diestler

photo © Wilfried Hösl

Mettre en scène l'oratorio Saul pouvait sembler étrange, mais c'est en fait l'une des oeuvres de Haendel qui a été le plus souvent portée à la scène ces dernières années en Allemagne ! (En 1999 à Karlsruhe par Michael Hampe et à Berlin par Anthony Pilavachi, en 2001 à Bonn par Dietrich Hilsdorf et à Mainz par Georges Delnon...)
L'idée est en fait excellente, car cet oratorio a la force dramatique d'un opéra. Il est même par certains aspects plus "moderne" qu'un opera seria, car les personnages interagissent davantage en temps réel sur la scène (au lieu d'y venir chacun son tour chanter son air !), les personnages secondaires ont souvent de courtes répliques chantées plutôt que de systématiques arie da capo, enfin le choeur est très important, sa musique est riche et il est bien intégré à l'action, ne serait-ce que pour la commenter.

Non content de porter un oratorio à la scène, l'équipe artistique munichoise a fait et gagné le pari de le faire jouer dans le décor et les costumes d'un... oratorio ! Le décor unique représente en effet le plateau d'une salle de concerts en formation "chorale", où des gradins accueillent les choristes. Ceux-ci apparaissent en blanc au premier acte, en noir au deuxième, tandis que les solistes sont en tenue de ville noire. à la fin seulement, pour célébrer la nouvelle ère ouverte par David, les choristes se dépouillent de leurs costumes sombres pour apparaître en sportswear bigarré.
L'ouverture est déjà largement mise en scène. Les chanteurs vérifient l'ordonnancement du plateau pour la cérémonie qui va suivre, comme ils le feraient en préparation d'un concert.

Malgré la distribution internationale, on assiste au résultat parfait d'un véritable travail de troupe. C'est en cela que le spectacle est une réussite complète, et non par la prestation de tel ou tel, personne n'émergeant particulièrement, même pas un David Daniels presque trop effacé et dont la voix ne s'impose pas véritablement dans l'espace du Théâtre National. Son chant a par contre une belle suavité, qui traduit l'humilité de son personnage et rend d'autant plus choquants les accès de rage envieuse de Saul, dont Alastair Miles brosse un excellent portrait psycho-rigide et paranoïaque.

Le travail dramatique et scénique effectué avec le choeur est remarquable et va bien au-delà des habituelles consignes de "faire semblant" de ceci ou cela, ordinairement distribuées à chacun selon les lois des probabilités pour que l'ensemble "fasse réaliste". De plus, les choristes ont l'air, aux saluts finaux, de s'être bien amusés, ce qui n'est pas toujours le cas !

Rien de révolutionnaire pourtant dans cette mise en scène : Christof Loy a seulement obtenu de ses chanteurs qu'ils jouent leurs sentiments et émotions, par l'expression du visage et le langage du corps ! Cela aurait pu être redondant et horripilant, mais le fait est que cela fonctionne. Peut-être un opéra du répertoire ne supporterait-il pas aussi bien un tel traitement, mais cette mise en valeur des affects, cette emphase du discours rejoignent finalement les grandes traditions d'interprétation dont ne témoignent plus pour nous que de vieilles photographies d'artistes dans des costumes kitsch et des poses mélodramatiques outrées. Précisons qu'il s'agit ici d'une version épurée et subtile de ce système interprétatif ! Le miracle (de simplicité) est que cela suffise à créer une mise en scène captivante, qui ajoute quelque chose à la musique en ce seul sens qu'elle la véhicule et transmet plus efficacement, en touchant les sens et l'âme au lieu de l'intellect.
Les déplacements mêmes des chanteurs sont davantage effectués au rythme de la musique qu'en la contredisant ou en l'ignorant. Là aussi, n'importe quel cours d'art lyrique pour débutants nous apprendrait que c'est la première chose à éviter et pourtant, quel bonheur on en ressent quand musique, texte et mise en scène ne font qu'un ! Sans doute est-ce aussi l'avantage d'une oeuvre encore peu connue à la scène : le metteur en scène ne se sent pas obligé de contredire forcément la musique et le livret pour faire oeuvre de créateur.

La direction d'Ivor Bolton est souple et vivante. Le "sous-ensemble" baroque de l'Orchestre d'État de Bavière sonne aussi bien qu'un orchestre spécialisé invité.

Pris par le plaisir de cette réussite d'ensemble, on n'a pas tellement envie de pinailler sur telle ou telle performance personnelle, mais faisons un effort :
Rebecca Evans ne vocalise pas toujours très bien mais tient bien son rôle. Ses airs pathétiques des second et troisième actes lui vont mieux que ses vocalises de rage du premier.
Le soutien physique de Rosemary Joshua n'est pas tout à fait à la hauteur de son engagement vocal. Son souffle est un peu haut et court, son émission est un peu plus tendue qu'elle ne pourrait être, mais le résultat vocal est néanmoins superbe.
John Mark Ainsley et Alastair Miles sont excellents. Ce dernier semble s'être inspiré de l'expression du Saul de Rembrandt reproduit dans le programme !
Kevin Conners sonne d'abord un peu guttural, mais son air (plus aigu?) du troisième acte est magnifique. Il est bien distribué, dans la mesure où son timbre contraste nettement avec celui de John Mark Ainsley.
Les choeurs sont toujours superbes et parfaitement en place, malgré la contrainte du par coeur. Le choeur final du second acte est fabuleux !

Même si la musique a la couleur des oratorios de Haendel et s'il lui manque parfois le brillant et la virtuosité de ses opéras, elle est superbe et traduit bien les différents affects.
Gageons que la mode (et la bonne idée) de mettre Saul en scène gagnera bientôt la France !