Les Troyens
Théâtre du Châtelet • Paris • 29/10/2003
Orchestre Révolutionnaire et Romantique
Monteverdi Choir Choeur du Théâtre du Châtelet Chef de choeur : Donald Palumbo Sir John Eliot Gardiner (dm) Yannis Kokkos (ms,dc) Richild Springer (chg) Éric Duranteau (v) Patrice Trottier (l) |
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Dernière représentation comme souvent très excitante pour ces Troyens, dont j'ai déjà commenté la deuxième représentation. On avait envie de crier "merci" plutôt que "bravo" à la fin, tant on est reconnaissant au théâtre du Châtelet et à toute l'équipe réunie de nous avoir offert ce spectacle, et d'avoir ainsi fait découvrir les formidables beautés de cet opéra à ceux qui ne l'avaient pas vu à New-York ou ailleurs !
La première partie est globalement nettement supérieure à la représentation du 14. Les timbres orchestraux sont extrêmement mieux fondus, les bois et les cuivres ont des couleurs beaucoup plus justes et cohérentes. La supériorité sur un orchestre moderne, qui sonnera toujours soit trop rond soit trop clinquant dans cette Prise de Troie, apparaît enfin.
L'intensité dramatique est telle que l'on oublie la scénographie assez pauvre. à les revoir, miroirs et escaliers ne sont effectivement pas passionnants ! Par contre, le jeu de projections de la seconde partie gagne en force quand on entre plus profondément dans une musique dont on connaît et attend chaque passage.
C'est alors aussi que l'on apprécie le talent de Berlioz pour "tuiler" son opéra, en introduisant progressivement chaque séquence suivante avant la fin de celle en cours, d'abord par un timbre instrumental puis par un motif mélodique ou un rythme, jusqu'à ce que la séquence nouvelle naisse comme organiquement de celle qui la précède !
Certes, on notait encore ce soir quelques chutes de tension : la scène de l'acte III entre Didon et Anna, celle ensuite entre Didon et Narbal... Berlioz n'a pour ces scènes aucune idée particulière, aucun de ces motifs si envoûtants dont son opéra regorge... et Yannis Kokkos n'a rien trouvé non plus pour rendre ces scènes plus intimistes (dans le temps on les aurait jouées tout simplement devant le rideau !), ni John Eliot Gardiner pour les jouer plus "chambriste".
Seule fausse note (avec le costume d'entrée de Didon, sorte de tunique-pantalon d'une royauté toute maoïste), les fusils puis les treillis modernes choquent toujours, tant on peut être pris par l'action au point de se croire transporté à Troie avant de les voir apparaître ! Certes, guerres et guerriers sont de tout temps, mais ils l'auraient été aussi bien avec des lances et des épées.
Aussi étrangement que le 14, Susan Graham ne trouve pas ses marques avant l'arrivée d'Ascagne, comme si elle n'entrait pas dans son personnage tant qu'il est heureux. Son apparence est d'ailleurs fort peu royale quand tout va bien, on imagine plutôt une nouvelle prieure des Dialogues des Carmélites de Poulenc, un peu "bonne femme". Sa voix semble toucher ses limites et se chercher, ou simplement chercher à se chauffer, le 14 dans une émission un peu serrée et latérale, ce soir dans une émission trop couverte dans le médium. Mais comme le 14, dès qu'elle trouve la bonne impédance de sa voix, la relie à socit simultanément s'engage dans son personnage, elle est fabuleuse jusqu'à la fin ! Ses "non" et ses "ah" en plaintes viscérales donnent la chair de poule et les larmes aux yeux !
Anna Caterina Antonacci est encore plus fabuleuse que le 14. Ce rôle semble pouvoir ouvrir de nouvelles perspectives à sa carrière, même si on peut se demander si cet enrichissement du médium à la Callas (dont elle rappelle du coup le timbre) ne sera pas à terme fatigant.
Même Hugh Smith chante ce soir de manière moins hachée, quoiqu'il donne toujours l'impression de doubler son propre play-back dans un film muet mélodramatique, ou de vouloir apprendre à chanter par l'exemple à un ours polaire sourd-muet. Il trouve surtout une émission mezza voce en voix mixte qui lui permet de rendre justice au sublime duo nocturne avec Didon. (Avant de se remettre à crier juste après, dommage !)
Stéphanie d'Oustrac confirme un tempérament scénique exceptionnel. On se réjouit que des personnalités (et non seulement des voix) comme elle ou Patricia Petibon puissent à nouveau éclore en France !
Laurent Naouri cogne de nouveau davantage ses consonnes ce soir, et chante une bonne partie de son rôle vers le sol, le menton rentré dans le cou. Dommage !
Il est aussi dommage que Renata Pokupic monte et descende incessamment, fléchissant et tendant alternativement ses jambes et raidissant ses épaules, semblant montée sur ressorts comme Zébulon du Manège Enchanté. Il doit y avoir de meilleurs moyens de se détendre comme de soutenir sa voix.
Topi Lehtipuu a une émission serrée et en pression, à la différence de l'excellent Mark Padmore, mais est toujours très apprécié par le public !
Une dernière bonne nouvelle, les micros ont disparu, hourra ! Tout ces harnachements, même le 14 qui n'était pas filmé, pour le résultat sonore calamiteux que l'on a pu entendre dimanche 26 à la télévision et à la radio ! Aucun opéra enregistré seulement par France-Musiques et sans l'aide de micros individuels n'a jamais présenté ces incohérences de niveau sonore entre chanteurs et ces brusques réductions du volume sonore, après par exemple une entrée du choeur, comme si les ingénieurs du son s'étaient contentés de brancher un compresseur automatique de bas de gamme, alors qu'ils avaient eu plusieurs représentations (et combien de répétitions?) pour régler leurs potentiomètres et se préparer à anticiper les entrées de chacun ! Espérons que le probable et désirable DVD de ce spectacle nous offrira un meilleur équilibre sonore !
Alain Zürcher