Orlando finto pazzo OC
Théâtre des Champs-Élysées • Paris • 17/12/2003
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Il ne manque qu'une mise en scène à cet Orlando finto pazzo, comme à l'Orlando furioso donné plus tôt dans la saison, dans le cadre de l'excellent cycle Vivaldi produit par Jeanine Roze. Si le deuxième acte semble moins riche, les premier et troisième actes offrent de nombreux moments dramatiques très contrastés, pimentés de multiples travestissements !
Peut-être moins excitant que Jean-Christophe Spinosi dans les mouvements vifs, Alessandro De Marchi tire de son orchestre d'impalpables pianissimi qui étendent d'autant la dynamique de son interprétation.
La grippe a malheureusement frappé deux chanteuses, dont les remplaçantes ont été puisées dans le même vivier italien. Si Marianna Pizzolato est à l'aise et très expressive dans le rôle de Brandimarte, bien servi par son timbre charnu, sa capacité à vocaliser et l'égalité de ses registres, Veronica Cangemi aurait sans doute donné une autre dimension au rôle passionnant d'Ersilla, à qui Vivaldi réserve de superbes airs. On rêve aussi de ce que Marie-Nicole Lemieux aurait fait du rôle d'Argillano. Malgré ces regrets, la distribution est de bonne tenue et relativement homogène.
Antonio Abete a une étrange émission grincée du coin de la bouche, mâchoire souvent serrée. Le résultat est certes efficace mais le timbre en est parfois enlaidi. Ses grimaces rendent visuellement difficiles de le percevoir en tant que personnage plus noble que bouffe ou méchant, même si Orlando passe la moitié de son rôle à jouer la folie.
Sonia Prina explose dans son air "Volerò" du troisième acte, d'une implacable virtuosité - à retenir comme bis ou air d'audition court et efficace ! Jusque là, elle décevait parfois, quand son étrange habitude de chanter tête tournée vers la droite et penchée vers la gauche semblait contribuer à grossir sa voix en une émission appuyée sur le larynx.
Gemma Bertagnolli rend bien justice à son air du "rossignol" au troisième acte, qui convient bien à sa voix légère. Auparavant, son émission tirée, peu connectée et tendant à blanchir ne lui offre hélas pas une palette assez riche pour traduire la complexité de son rôle. Vivaldi a en effet gâté Ersilla et lui réserve aussi l'air le plus étonnant de la partition, un air "infernal" à l'accompagnement superbement contrasté et dissonnant.
Manuela Custer chante note à note comme si elle déchiffrait sa partie. Son émission est inconsistante et inégale. Dans son premier air, des "a" trop ouverts blanchissent. La voix est généralement trop en bouche, sans pour autant être suffisamment canalisée par les lèvres. Il lui manque à la fois par au-dessus des harmoniques et par en-dessous une ouverture plus large vers la poitrine et sans doute une connexion musculaire plus affirmée jusqu'au bassin. Présentée comme alto par sa notice biographique, elle semble chanter en-dessous de sa tessiture la plus efficace. Chantant le plus souvent nuque cassée vers sa partition, elle enlise l'orchestre dans des marécages d'ennui en ralentissant les tempi et en détruisant tout phrasé.
Marina Comparato est très expressive et chante avec un beau legato. Les airs de Tigrinda lui permettent de démontrer sa versatilité, notamment par l'alternance rapide entre voix de tête et voix de poitrine dès son premier air, ou plus loin dans la scène du deuxième acte où elle s'adresse alternativement à Argillano qu'elle aime et Origille qu'elle invective. Le deuxième acte lui offre également un bel air classique, "Quando agitato", fondé lui aussi sur l'opposition entre la tempête et le calme.
Martin Oro est un bon Grifone, même si ses phrases quittent parfois la justesse la plus stricte, comme s'il s'assourdissait lui-même par sa propre résonance et noyait ainsi son oreille comme l'auditeur dans un spectre sonore séduisant mais approximatif. Quelques finales semblent aussi quitter la ligne de souffle et en perdre leurs harmoniques, ce qui les fait baisser.
Le samedi 3 janvier à 19h30, France-Musiques permettra d'écouter Orlando finto pazzo et de juger la phonogénie de ses interprètes, tout en profitant encore un peu de l'acoustique du théâtre des Champs-Élysées, idéale pour ce répertoire.
Prochain concert du cycle Vivaldi le 14 mai 2004 avec le Gloria et trois motets.
Alain Zürcher