Siroe re di Persia OC
Théâtre des Champs-Élysées • Paris • 09/01/2004
Andrea Marcon (dm)
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Pour écrire une critique positive de ce concert, il faut commencer par le troisième acte. Idéalement, il faudrait n'être arrivé qu'après l'entracte, à l'inverse du mélomane déçu qui serait parti à l'entracte. Le public a donc chaleureusement applaudi ce spectacle, saluant également le génie commercial de Haendel, qui a su terminer son opéra en feu d'artifice. Le succès durable d'un ouvrage nécessite cependant une qualité plus homogène. Au moins dans d'autres ouvrages Haendel a-t-il réussi aussi le premier acte, ne laissant de côté qu'un parfois long tunnel central.
Orchestre, chanteurs et chef ont semblé au diapason de ce manque d'inspiration pendant toute la première partie du spectacle - l'entracte unique ayant été placé entre le deuxième et le troisième actes.
Après l'imprécision molle de l'ouverture, particulièrement du côté des hautbois, le son grêle de l'orchestre, ses tempi sans excitation et ses phrasés plats ont fait écho à la platitude classique d'un Haendel très peu inspiré. Les chanteurs, de leur côté, peinaient à se chauffer et on comprenait Lorenzo Regazzo qui semblait s'endormir sur sa chaise entre ses interventions. Il est vrai que, même s'il avait un bel air pour clore efficacement le deuxième acte, il devait ménager quelques ressources pour son magnifique air "Gelido in ogni vena" du troisième acte.
Ce n'est qu'avec l'introduction de cet air que l'écriture orchestrale devient un peu originale et contrastée, créant un superbe climat et offrant à Lorenzo Regazzo l'occasion de laisser libre cours à ses talents d'acteur, aussi dignes d'un mime que d'un chanteur. Assurément, le rôle d'un metteur en scène serait avec lui de canaliser et de gommer plus que de susciter ! L'air de Siroe qui suit a également inspiré Haendel. Quant à son air suivant "Son vendicato assai", avec quelques coupures ou variations, il serait aussi d'un bel effet dans le genre élégiaque. Suit un bel air vigoureux de Laodice, que Simone Kermes a l'intelligence d'orner en cadence de notes aiguës piquées qui la mettent en valeur.
En dehors des initiatives ponctuelles de cette dernière ou du phrasé dramatiquement engagé de Lorenzo Regazzo, le travail sur les affects, la rhétorique, les couleurs et les contrastes semble tout simplement absent. Avait-il été réalisé lors de la création scénique de ce spectacle fin décembre 2000 à Venise? La mise en scène de Jorge Lavelli avait-elle alors masqué l'indigence du propos musical, ou la distribution de l'époque s'était-elle engagée davantage et avec des moyens plus adéquats dans une série de répétitions et de représentations plus longue et gratifiante?
Le livret de cet opéra n'est que le second de Metastasio et le premier représenté en Angleterre, mais on a déjà l'impression d'assister à sa propre parodie, digne du jubilatoire Opera Seria de Gassman donné la saison dernière dans cette même salle. L'élève chanteur ou le professeur de chant peut même retrouver le texte du Vaccai "O placido il mare" ! Emira est particulièrement servie, avec plusieurs airs qui ne s'insèrent dans le contexte que par la parabole. On s'étonne même qu'après ses airs tellement interchangeables ou diplomatiquement vagues, ses interlocuteurs lui répondent comme si elle avait dit ou demandé quelque chose de précis... Peut-être des coupures dans les récitatifs expliquent-elles cela !
Avec ces handicaps de départ, il est suicidaire de faire toutes les reprises des airs da capo mais sans les varier, ainsi que de ne pas varier le tempo ni la couleur de leurs parties B ! Ainsi au premier acte, les parties B des deux premiers airs de Laonice sont expédiées sans être bien contrastées. Inversement, au troisième acte, la partie B du long air d'Emira est aussi lente que sa partie A.
Katerina Beranova a le mérite de remplacer... la remplaçante de Patrizia Ciofi initialement prévue. Comme ses collègues, elle se détend et chante mieux au troisième acte. Au premier acte, ses reprises de souffle hautes à grands coups d'épaules la déséquilibrent et ses aigus sont du coup un peu tirés, tandis que son grave est un peu tassé. Elle a une forte tendance à surarticuler, qui part peut-être d'une bonne intention mais crée des problèmes plutôt que d'en résoudre. Ses ouvertures buccales sont parfois excessivement latérales, ce qui rend son timbre acide. Son larynx monte trop pour l'émission des notes aiguës, avant qu'elle trouve enfin plus d'aisance, d'équilibre et de rondeur au troisième acte. Il est vrai que son air étrangement intercalé dans le lieto fine de rigueur lui permet justement de jouer sur le contraste (ailleurs parfois gênant) entre ses aigus pointus et ses graves plus ronds. Déjà au deuxième acte, son agilité est correcte dans son premier air, même si on peut rêver d'un engagement dépassant la simple exécution. Une fois ces défauts résolus, elle affiche un intéressant potentiel.
Liliana Rugiero chante constamment sur la trame de sa voix, dans une tessiture qui semble trop grave pour elle et ne la met pas en valeur. Son émission est dès lors monochrome et pauvre en harmoniques. Dès son premier air, son émission est plus appuyée que soutenue. Le grave est a fortiori trop appuyé. Sa respiration est très étriquée : le manque d'ouverture de sa cage thoracique semble faire écho au manque d'épanouissement de son timbre.
Roberto Balconi a certes la vilaine voix de son rôle, mais la santé de son appareil vocal requerrait d'autres choix techniques. Ses cordes vocales semblent mal s'accoler sur certaines notes. Est-ce une indisposition passagère? On peut en douter si l'on considère qu'il s'agit de ses notes de passage vers l'aigu, qu'il émet trop ouvert, rendant certes son timbre vilain peut-être volontairement, mais aux dépens de toute rondeur et du contact avec son grave. Ce grave, il a le courage (ou l'obligation) de l'émettre en poitrine ou du moins dans une émission mixte très renforcée, mais il l'écrase du coup un peu trop, ce qui rend le passage vers l'aigu d'autant plus problématique.
Simone Kermes a d'abord des aigus durcis et une émission claire et pointue, mais elle s'améliore grandement au cours de la soirée et chante relativement mieux que ses collègues féminines. Au deuxième acte, son air avec flûte ("Non lo sperar da me") lui fait trouver une meilleure concentration du son, peut-être en raison de sa tessiture, de son caractère élégiaque ou de l'émulation de la flûte. On réalise en l'écoutant que c'est le premier air bien chanté de la soirée. Au troisième acte, son bel air très imagé typiquement métastasien (à base de tigresse protégeant sa progéniture du chasseur) est à nouveau très réussi. Par ses notes interpolées (ou bien est-ce Haendel qui s'amuse à la promener dans tous ses registres?), elle donne l'idée de ce que cet opéra pourrait donner, bien chanté et joué avec plus d'engagement, de contrastes et de sens dramatique (alla Spinosi).
Lorenzo Regazzo, habitué du Théâtre des Champs-Élysées, renforce par d'amusantes mimiques l'erreur constante de son personnage et donc la pitoyable antipathie qu'il suscite. Certains qualifieraient sans doute son phrasé de vériste et d'anachronique, mais qu'est-ce qui nous permettrait de l'affirmer? L'engagement dramatique et l'attention aux contours et à l'énergie interne de chaque phrase ne sont-elles pas envisageables dans toutes les époques?
Reprise à Metz le 13 janvier. Diffusion sur France-Musiques le 17 janvier à 19h30.
Alain Zürcher