Die Zauberflöte
Opéra • Massy • 11/01/2004
Orchestre National d'Île de France
Choeur Les Cris de Paris Chef de choeur : Geoffroy Jourdain Alain Altinoglu (dm) Lukas Hemleb (ms) Jean-Pierre Guillard (d) Alice Laloy (c) |
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Il y a peu à dire des spectacles parfaitement réussis. Ils vous portent du début à la fin, vous font sourire ou réfléchir, vous touchent, vous maintiennent dans un état d'éveil et d'attention.
Bien sûr, on peut signaler des détails, dont aucun ne réussit à rompre l'enchantement du spectacle :
Vincent Pavesi n'est pas une basse profonde et n'est peut-être même basse qu'en cravatant à l'excès (en cassant la nuque, abaissant et écrasant son larynx et choisissant de grandes ouvertures buccales verticales), et son émission est un peu rigide et forcée.
Marie-Bénédicte Souquet est une Reine de la Nuit un peu légère.
Le trio des enfants fonctionne moins bien que le trio des dames : les voix hétéroclites se fondent assez mal et seule Isabelle Obadia a le timbre acidulé et la diction mordante que l'on attend, tandis qu'Aurore Ugolin ne semble pas parvenir à épanouir son timbre dans ce cadre.
Mais l'orchestre et son chef Alain Altinoglu sont parfaits d'un bout à l'autre et la mise en scène de Lukas Hemleb est une merveille d'intelligence.
Les décors de Jean-Pierre Guillard sont minimalistes mais efficaces, concentrant l'attention sur le jeu, fouillé bien plus qu'à l'habitude sur une scène d'opéra. Cette production est en effet la reprise, deux ans après, d'un spectacle du Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris. Il a donc pu bénéficier d'un investissement de ses participants, d'un temps de répétition et d'un environnement qui lui donnent les qualités d'un travail de troupe - sans la routine, car cette troupe n'est constituée que par une génération de chanteurs du conservatoire, dont certains entendus lors de leur Récital du Prix en juin 2003, et qui poursuivent depuis leurs chemins respectifs.
Les costumes d'Alice Laloy sont pertinents et ne refusent pas le clin d'oeil, tels ceux des trois enfants, chacun dans le costume "folklorique" de sa "race" - caucasienne, asiatique et métisse. Les trois dames sont habillées dans une sorte de variante baba-cool d'un Liberty campagnard. Pamina porte une belle robe jaune qui prend bien la lumière. Tamino est habillé en Tintin BCBG, pantalons de golf et chemise ouverte. Papageno est en clown clochardisé, amuseur déchu. La Reine de la Nuit est pour une fois blanche et bleue au lieu d'être noire, blanche, rouge ou dorée. Monostatos a le visage mi noir mi rouge et un costume aux manches pendantes qui lui donne un air de Golum du Seigneur des Anneaux. Sarastro et les initiés sont en costume cravate gris sombre ou noir - un initié marginal affichant un costume rayé, tranchant aussi superficiellement que sur le conformisme des bureaux.
Les lumières sont non seulement superbes mais contribuent aussi à caractériser lieux et moments à peu de frais, ainsi qu'à faire porter le regard sur l'action en cours. (Belle transition par exemple entre les esclaves mis en fuite par la flûte et Tamino et Pamina au premier plan.)
La conception générale de Lukas Hemleb secoue bien des traditions. Les dialogues donnés en français contribuent grandement à remettre le théâtre au premier plan. Ces dialogues sont en outre donnés dans un temps théâtral, avec les silences qui leur donnent tout leur poids, et non débités le plus rapidement possible comme une certaine tradition semble l'exiger. Certes, Papageno y est réaffirmé, encore plus qu'à l'habitude, comme issu du "théâtre de tréteaux". Mais Monostatos est touchant, la Reine de la Nuit est humanisée et se paie sa scène d'hystérie, tandis que Sarastro n'est pas idéalisé et que les initiés semblent aussi dubitatifs que les cadres d'une multinationale. Quant aux esclaves, n'en parlons pas !
Premier degré et second degré alternent sans a priori mais avec intelligence. Certaines scènes sont poussées à bout, légèrement détournées mais jamais trahies, jusqu'à certains délires de pur théâtre, comme celui des trois esclaves. Marc Mauillon est un fabuleux acteur qui s'engage à fond dans son incarnation et dépoussière les airs de son personnage. (Ainsi "Ein Mädchen oder Weibchen" aux strophes bien contrastées, du vin gai au vin mauvais. Chaque personnage, comme Vincent Pavesi en PDG présidant un conseil d'administration, a travaillé ses intonations parlées, son phrasé. Frédéric Bourreau évoque de sa voix grave, au moment des épreuves devant être passées par Tamino et Papageno, les basses artificiellement renforcées d'un présentateur de jeu télévisé. Lukas Hemleb et Alain Altinoglu n'ont pas hésité à ajouter quelques bruitages et à introduire quelques perturbations dans la partition, comme quand Papageno rageur et dépité frappe son Glockenspiel.
Vocalement, la distribution est un enchantement, avec un vaillant Jérôme Billy qui ouvre à peine trop certaines notes, une délicieuse Amel Brahim-Djelloul dans un rôle qui met admirablement en valeur son timbre fruité, un superbe trio de dames aux tessitures et timbres se complétant à merveille, un Thomas Morris en ténor de caractère bien typé et un Marc Mauillon aussi bien chantant que bon comédien - et joueur de flûte de pan, ce qui est d'un effet sonore bien meilleur que de l'entendre de la fosse !
Le choeur tient son rôle au moins aussi bien dramatiquement que vocalement.
Un des meilleurs tableaux est peut-être la juxtaposition de Papageno se goinfrant de poulet rôti pendant que Pamina chante sa douleur ("Ach ich fühl's"). Il faudrait citer une foule de trouvailles formidables qui s'inscrivent toujours harmonieusement dans l'ensemble, mais le mieux est encore d'aller voir ce spectacle - en ce qui me concerne la meilleure mise en scène de la saison en France.
À voir le 13 janvier à Massy, les 16 et 17 à Cergy-Pontoise, le 20 à Corbeil-Essonnes, le 23 à Lorient et le 25 à Combs-la-Ville.
Alain Zürcher