Irina Mataeva et Daniil Shtoda R
Théâtre du Châtelet • Paris • 22/03/2004
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Le théâtre du Châtelet présentait à nouveau ce soir un couple de chanteurs, soprano et ténor, qui plus est jeunes - et beaux, comme il se doit. Voilà qui est certainement plus courageux que de réinviter éternellement Cecilia Bartoli ou José Van Dam. Les uns n'excluent pas les autres, mais on peut louer ce renouveau et se réjouir que la salle ait été très correctement remplie pour ces deux soirées.
Les deux chanteurs de ce soir sont très prometteurs. On sent que leurs voix sont encore en train de trouver leurs marques, de tester et de repousser leurs limites. Tous deux sont déjà très à l'aise mais gagneront encore en expressivité et complexité d'interprétation, du moins s'ils continuent à pratiquer conjointement l'opéra et la mélodie.
Ce rapport entre opéra et mélodie semble encore leur poser quelques difficultés. La mélodie en sort vocalement victorieuse mais dramatiquement un peu pâle, tandis que l'opéra est l'occasion d'un plus grand engagement dramatique mais de certains excès vocaux.
Irina Mataeva a une bonne conception d'émission vocale de type "volcanique" à travers un conduit vocal sans entraves. L'esprit de la mélodie apporte, par ses demies-teintes, la rondeur néanmoins nécessaire. L'opéra par contre l'incite à pousser son émission à travers des ouvertures buccales trop importantes qui réduisent par trop l'impédance, et dans un mouvement d'expiration qui semble partir de bas mais s'en décrocher en cours de route. Il en résulte des sons faiblement connectés et trop ouverts, ayant perdu leurs harmoniques les plus graves et se retrouvant parfois franchement trop hauts, comme dans l'air de Servilia de Rimski-Korsakov.
Dans son répertoire, on note plusieurs rôles en "-ina" dont elle semble se détacher tout en gardant encore peut-être les séquelles d'une émission trop claire. Sa Tatiana de la saison dernière ici-même paraissait fragile, mais elle semble maintenant davantage prête à aborder des rôles pleinement lyriques.
Pour Daniil Shtoda, le piège de l'opéra est une nasalisation excessive, dont il semble vouloir s'aider pour donner un métal, un mordant à son timbre, mais qui lui donne une certaine monotonie, voire parfois laideur. Ses notes en voce finta sont par contre admirables, il réussirait sans doute de beaux messa di voce, et ses aigus sont sainement abordés. Son formant du chanteur et son vibrato sont très stables.
Le programme, intelligemment composé, aurait été certainement plus facile à apprécier si le public n'avait pas tenu à manifester son enthousiasme entre chaque pièce, même de deux minutes et du même compositeur, alors que les interprètes avaient déjà prévu d'alterner toutes les trois pièces.
On est content de découvrir les mélodies et airs de la première partie, mais les mélodies les plus séduisantes sont décidément celles de Tchaïkovski et de Rachmaninov offertes après l'entracte, même si nos jeunes interprètes n'en tirent pas encore autant de sève que Pavel Lisitsian ou même Sergei Leiferkus.
Pour Tchaïkovski, Irina Mataeva trouve une belle rondeur, qu'elle perd cependant à nouveau au début de son duo de Roméo et Juliette. Les bis italiens des deux chanteurs sont très prometteurs (Donde lieta uscì de La Bohème de Puccini et È la solita storia del pastor de l'Arlesiana de Cilea).
Alain Zürcher