Barbara Hendricks et Ludovic Tézier C
Théâtre antique • Orange F • 16/07/2004
Orchestre Philharmonique de Nice |
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Comment occuper à deux le vaste espace du théâtre antique? En chantant sur scène et non devant l'orchestre, qui reste dans sa "fosse" - en fait à Orange simplement au pied de la scène. En ménageant quelques entrées et sorties. En choisissant bien ses costumes et en en changeant parfois.
Comment transcender les contraintes d'un récital avec orchestre? Un orchestre et des interprètes uniques vont enchaîner des airs et ensembles de styles et d'époques très différentes, avec le risque de ne pas varier la couleur et le phrasé autant que lors de représentations distinctes d'oeuvres intégrales.
Il faut avouer que si nos chanteurs n'ont pas démérité, ils ne se sont pas non plus dépassés. L'orchestre ne les y aidait pas non plus. Globalement hypotonique, ses vents sont en outre approximatifs. Ce n'est que dans la Méditation de Thaïs de Massenet puis surtout dans l'ouverture des Vêpres Siciliennes de Verdi que Marco Guidarini et ses musiciens semblent subitement motivés, trouvent une vraie cohésion et dépassent le niveau du déchiffrage routinier.
Les deux voix s'allient mieux dans Tchaïkovski et Verdi que dans Mozart. L'ensemble garde cependant l'aspect figé d'une vieille émission de variétés télévisée, avec ses stars paillettées descendant en play-back des escaliers de plastique blanc ornés d'ampoules de couleur. L'alliance de ces deux chanteurs est cependant judicieuse sur le plan du marketing : Barbara Hendricks peut attirer le grand public séduit par ses premiers disques et le charme de sa personne, tandis que Ludovic Tézier peut attirer les amateurs de chant attentifs au renouveau du chant français.
Barbara Hendricks chante avec sa technique habituelle de couverture de la voix sur toute sa tessiture, ce qui lui donne la couleur ampoulée si caractéristique qui séduit ses admirateurs. Cette émission lui permet une belle longévité, avec une voix qui ne bouge pas du tout et manifeste au contraire un vibrato toujours contrôlé, mais sans non plus la liberté rayonnante de Susan Neves le lendemain. La Comtesse des Noces lui convient mieux que Suzanne. Sa Tatiana est correcte, le russe masquant bien sa diction un peu grossie, mais Tatiana comme Leila devrait être une fraîche jeune fille. Verdi lui va bien, même si Gilda, qu'elle a chantée ici-même en 1980, n'est plus son rôle idéal.
Ludovic Tézier, avec son air dédaigneux, peut incarner avec vraisemblance Onéguine comme le Comte des Noces, mais pourrait quand même manifester quelque peu les sentiments de ce qu'il chante. Sa voix est toujours pleine et bien équilibrée entre le chiaro et le scuro. Dans l'air de Germont, sa technique de respiration est tellement parfaite qu'elle lui permet d'enchaîner les phrases imperturbablement, sans aucune expressivité dans ses reprises de souffle. Son Germont est forcément jeune, ce qui le rend un peu trop neutre et propre, jusqu'à ses acciaccature magnifiquement nettes mais ne traduisant aucune émotion.
La première partie mozartienne est restée trop froide et neutre. Tout du long, les tempi sont excessivement lents. Cela sera encore très dérangeant dans l'air de Zurga, d'autant que ni Ludovic Tézier ni l'orchestre n'offrent la densité qui emplirait ce temps distendu.
En bis, le public n'a pas échappé à "Là ci darem" extrait de Don Giovanni, dans une version très romantique aux sons liés, au phrasé aplati et au tempo lent. Après un tel duo, on se demande si Don Giovanni et Zerlina vont "restaurer leurs peines" autrement qu'en dormant !
Nos deux interprètes ont semblé trop soucieux de voix. à leur niveau, ils devraient pouvoir se permettre de s'en libérer pour interpréter et vivre davantage.
Alain Zürcher