La Fida Ninfa OC
Abbatiale • Ambronay F • 09/10/2004
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Après la brillante réussite de l'Orlando Furioso donné en 2003 et enregistré par Opus 111, le festival d'Ambronay a réuni la même équipe pour recréer cet opéra inédit de Vivaldi.
Sous la direction alerte de Jean-Christophe Spinosi, l'ensemble Matheus a de nouveau séduit par son dynamisme. L'oeuvre recèle-t-elle moins de contrastes? Elle a en tout cas paru ce soir un peu uniformément rapide. L'omission d'une grande partie des récitatifs empêche aussi de s'imprégner de chaque affect avant de savourer sa représentation sonore. L'effectif orchestral réduit aux cordes, sauf à la toute fin, ne permet pas non plus une grande variété de couleurs.
L'histoire est bien sûr aussi complexe que de coutume, et un semblant de mise en scène aiderait sans doute à mieux adhérer dès le départ aux émois de chacun, au lieu de goûter une succession de beaux airs. Certains des chanteurs réunis, telle Marie-Nicole Lemieux, ne restreignent d'ailleurs qu'avec peine leurs élans dramatiques. Lorenzo Regazzo incarne comme toujours à merveille son personnage irascible. à force de grimaces expressives et de noirceur du son, c'est à peine si l'on remarque qu'après moult fureurs, Oralto est amoureux au troisième acte, le temps d'un air ("Perdo ninfa") - et encore, de sa seule partie A.
Aux côtés de Regazzo, parfait dans son genre, Ann Hallenberg séduit par une technique vocale exemplaire et un timbre bien équilibré. Rayonnante dans l'aigu, elle sait aussi poitriner quand il faut et comme il faut. Sa voix s'épanouit encore davantage au troisième acte dans le superbe air "Dalla gioia e dall'amore". Il ne lui manque somme toute que quelques défauts séduisants pour conquérir les foules.
Philippe Jaroussky fait preuve comme toujours d'une superbe musicalité. L'éloge de son timbre n'est plus à faire. Très pur et toujours clair, il a maintenant aussi acquis ligne et rondeur. Sa prestation culmine dans l'air magnifique "Ah che non posso" du second acte.
Très expressive, Marie-Nicole Lemieux n'en laisse pas moins échapper beaucoup de souffle mêlé à son timbre, qui en devient beaucoup moins riche et sonore. Sa diction est empâtée. On aimerait qu'elle canalise mieux son ardeur expressive vers des qualités vocales fondamentales sans lesquelles on ne peut construire ni interprétation ni carrière. Le rôle de Junon (plus noble? plus grave? plus soutenu?) lui inspire une émission beaucoup plus efficace.
Alexandrina Pendatchanska, qui avait enthousiasmé en Stonatrilla dans L'Opera Seria de Gassmann sous la direction de René Jacobs au Théâtre des Champs-Élysées en mars 2003, avec un timbre frais et une émission libre, surprend ici en choisissant une tessiture qui paraît trop grave pour elle, ou qu'elle appuie du moins trop - peut-être en raison de sa visible indisposition? Sa voix n'est sonore qu'au prix de fortes pressions appliquées sur des positions vocales très fermées. Elle ne se sort de vocalises inhumainement rapides qu'au prix de fortes contractions physiques, visibles au niveau de la mâchoire et des épaules et que l'on devine au niveau des abdominaux.
À l'inverse, Ann Hallenberg émet ses vocalises, certes moins rapides, en conservant à son instrument une parfaite intégrité, ce qui préserve du même coup la pureté d'intonation et de timbre de chaque note. Alexandrina Pendatchanska offre cependant au troisième acte un "Fra inospiti rupi" plus plein et moins tendu et redonne en bis avec plus d'aisance son air "Destin avaro" qui concluait déjà la première partie.
José Montero sonne nasal dès son entrée. Ce défaut esthétique devient aussi technique quand il pousse, dans "Deh ti piega" au deuxième acte, son émission dans le nez au point qu'elle devient rauque sous la pression excessive, tout en étant inefficace car bouchée. Meilleur dans "Non tempesta", il a un potentiel intéressant.
Cette production réussit à captiver pendant trois heures, ce qui n'est pas un mince mérite, mais pourra encore trouver plus de variété et de profondeur. Une version scénique y aiderait, ou à défaut le rétablissement des récitatifs.
À revoir au Théâtre des Champs-Élysées le 18 octobre 2004. à écouter sur Radio Classique le 28 novembre 2004 à 20h.
Alain Zürcher