L'Incoronazione di Poppea
Théâtre des Champs-Élysées • Paris • 17/10/2004
René Jacobs (dm)
David McVicar (ms) Andrew George (chg) Robert Jones (d) Jenny Tiramani (c) Paule Constable (l) |
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Cette production superbe, dirigée par un des meilleurs spécialistes de Monteverdi et servie par un beau plateau vocal, n'a cependant pas comblé toutes les attentes placées en elle. La faute au metteur en scène? Pas seulement. René Jacobs n'a pas séduit par sa justesse dramatique habituellement sans failles. Sa réalisation, riche comme à son habitude, de la basse chiffrée de Monteverdi a généré des couleurs orchestrales un peu monotones. La respiration de l'oeuvre a semblé courte. Aucun moment "suspendu", "hors du temps", n'a ponctué cette représentation. On regrette parfois la version plus épurée donnée au Conservatoire il y a quelques années, ou celle de Jean-Claude Malgoire donnée ici-même en janvier 2001.
*David McVicar et son décorateur Robert Jones nous offrent le type de tape à l'oeil décoratif que l'on trouve plus souvent à l'Opéra de Paris qu'au Théâtre des Champs-Élysées. De beaux rideaux glissant de gauche à droite le temps d'un changement de décor, de belles couleurs et lumières bleu nuit et or créent certes un climat. Mais les panneaux verticaux tournant sur eux-mêmes ont un air de déjà vu, sans parler des extraits de texte parfois affichés au fond. Centrer la mise en scène autour d'un canapé n'est pas nouveau, mais celui-ci a une queue de crocodile et est tapissé de léopard ! Même Roméo n'en vend pas d'aussi chic ! Il passe alternativement de droite à gauche du plateau.
David McVicar réussit quelques scènes, mais un souffle d'ensemble fait défaut, quoique chaque personnage soit judicieusement présenté : Néron cocaïnomane et bisexuel, pourquoi pas? Les deux gardes de Néron en jeep et allant chercher des hamburgers à emporter chez McDo, ça coule de source ! Des Poppée plus vamps et vulgaires, on en a vu.
Grâce à une Anne Sofie von Otter en grande forme vocale, Ottavie a une noblesse et un pathétique insurpassables. Son air d'adieu est superbe, même si la prononciation des doubles d de "addio" lui fait défaut.
Faire d'Othon un "homme de la rue", cadre moderne quelconque en costume et téléphone mobile, est intéressant. Montrer la Damigella en dessous chics pour son duo avec Valletto, pourquoi pas?
Valletto endosse le personnage-type du sale gosse de banlieue portant sa casquette à l'envers, le cliché fonctionne. Amel Brahim-Djelloul joue le jeu à merveille, même si faire jouer ce personnage à une chanteuse d'origine algérienne ayant sa classe et son tempérament relève un peu de la provocation.
Arnalta incarnée par un ténor de haute taille en robe de chambre rose et bigoudis est forcément hilarante, surtout quand elle fait son numéro dans le rayon d'un projecteur, au moment d'accéder au pouvoir sur les pas de Poppée.
La Nutrice de Dominique Visse est comme toujours désopilante, très féminine ce soir dans ses conseils d'infidélité à Ottavia !
Seneca en Jospin /intellectuel parisien pontifiant va de soi, et faire de son monologue "Solitudine amata" une émission culturelle télévisée où ses disciples servent d'invités / faire-valoir autour d'une table basse est brillant, efficace et amusant.
Certaines scènes sont réussies grâce à un concept, d'autres grâce à un numéro d'acteur, celle entre Ottavia et Ottone l'est simplement par le jeu et la direction d'acteurs.
Au rayon des gadgets amusants, on trouve le passage où Othon éconduit ne chante plus à Poppée que par mobiles interposés. Ou cette scène où Othon s'acharne à tirer des coups de feu sur Poppée et Arnalta avec un pistolet enrayé.
Hormis l'erreur de distribution (ou la durable méforme vocale) de Patrizia Ciofi, le plateau vocal est séduisant.
Après une bien tiède Fortuna, aux côtés d'une Virtù au timbre aussi peu incisif et presque soufflé, Patrizia Ciofi chante par en-dessous et sonne bas dès son entrée en Poppée, mettant mal à l'aise l'auditeur. Sa voix est toujours tirée dans sa deuxième scène (n°10) avec Néron. Ce rôle est plus grave que ses rôles habituels. N'a-t-elle pas déjà chanté dans des tessitures trop différentes?
Anna Caterina Antonacci, qui chante habituellement Poppée, est un Néron aussi ardent que sa Cassandre des Troyens au Châtelet la saison passée. Sa voix est toujours bien timbrée, son phrasé et son engagement physique sont intenses et expressifs. Si l'on n'avait pas le souvenir du sulfureux Néron du sopraniste Jacek Laszczkowski dirigé par Jean-Claude Malgoire en janvier 2001, on serait comblé. (Jacek Laszczkowski reprendra d'ailleurs ce rôle au Palais Garnier en janvier 2005.)
Amel Brahim-Djelloul, déjà remarquée lors du prix de chant du Conservatoire en 2003, est aussi superbe vocalement en Amore que séduisante scéniquement en Valletto.
Lawrence Zazzo présente une si belle homogénéité vocale que d'aucuns lui reprocheront sans doute de manquer de personnalité. Sa belle performance vocale est en parfaite harmonie avec son personnage de loser.
La voix de Carla di Censo, sans être ample, a un timbre étonnamment concentré, claironnant et efficace.
Antonio Abete chante comme à son habitude du coin de la bouche, en ourlant les lèvres, mais cela semble convenir à sa voix !
Finnur Bjarnason a une voix efficace quoique désagréablement nasale, à l'américaine.
Outre son abattage scénique, Tom Allen chante bien sa berceuse à Poppée et donne une belle interprétation du rôle de Mercure, ici donc distribué à un ténor.
À voir les 19, 21 et 23 octobre 2004 au Théâtre des Champs-Élysées. à écouter à Londres le 25 octobre 2004. à voir à l'Opéra du Rhin au printemps 2005, au Staatsoper de Berlin en février 2006 et à La Monnaie de Bruxelles en mars 2006. à écouter le 8 novembre 2004 à 20h sur France-Musiques.
Alain Zürcher